Numéro: Vous apprenez à cuisiner très jeune. D'abord par nécessité, pour aider votre mère qui élève seule deux enfants. C'était une corvée au début, ou faire à manger a toujours été un plaisir ?
Joakim Prat : J'ai toujours aimé ça. Je me souviens de ma première recette, un framboisier, que j'avais fait pour ma mère. J'étais en charge du repas ce jour-là, mais j'avais passé tellement de temps à faire le dessert qu'au final il n'y a rien eu d'autre à manger !
À 29 ans vous étiez déjà chef pâtissier de restaurants étoilés comme l'Atelier de Joël Robuchon ou Greenhouse. Pourquoi avoir quitté la haute gastronomie pour fonder votre boutique, Maître Choux ?
Il y 5 ans, nos métiers n'étaient pas du tout reconnus comme aujourd'hui. Dans un palace par exemple, le nom du chef pâtissier était très rarement mentionné, toujours dans l'ombre du cuisiner. Un jour, j'en ai eu assez de la restauration, des horaires, du rythme épuisant, et de ce manque de reconnaissance. Je voulais travailler autour de mon nom et de mon savoir-faire. Je me suis associé à l'entrepreneur Jérémie Vaislic et ensemble nous avons monté Maître Choux.
Pourquoi proposer un mono produit, l'éclair, plutôt qu'une variété de desserts comme dans une pâtisserie traditionnelle ?
Dès le départ, je voulais me concentrer sur la pâte à choux car elle est facile à manier et offre beaucoup de possibilités. On peut jouer avec les formes, les couleurs, la faire frire ou cuire au four. En revanche, je n'avais pas du tout prévu de me spécialiser dans les éclairs. Ils sont devenus populaires dès l'ouverture, et nous avons décidé de suivre le mouvement en créant toute une gamme de parfums.
“Étrangement, je crée d'abord mes recettes à partir d'une couleur, plutôt que d'un goût. L'inspiration vient ensuite de manière un peu aléatoire.”
Dans un restaurant, le client choisit son plat en fonction du menu. Chez vous, il n'y a pas de carte, tout est en vitrine. Pour vous le design doit cacher une surprise, ou clairement expliquer ce que l'on va manger ?
C’est une question difficile que j’ai dû me poser très tôt. En restauration, le menu est décliné autour d’un produit. Le client a déjà une idée de ce qu’il y a dans un plat avant de le voir. En ouvrant une boutique directement sur la rue, il a fallu privilégier le visuel pour attirer le regard des gens. Il fallait quelque chose d’impressionnant, en partie à cause des réseaux sociaux, où les images se diffusent très vite. Étrangement, je crée d'abord mes recettes à partir d'une couleur, plutôt que d'un goût. L'inspiration vient ensuite de manière un peu aléatoire. Je quitte parfois les cuisines pour attraper un carnet et croquer une idée, qui s'avérera réalisable... ou en entraînera une autre. J'affine ensuite le design jusqu'à ce que je sois satisfait. Cela étant dit, au final, le visuel de l'éclair doit clairement indiquer ce qu'il y a dedans.
Et le goût...?
Il est et restera toujours ma priorité. J'ai passé la plus grande partie de ma vie professionnelle dans des restaurants étoilés, à travailler avec les meilleurs ingrédients disponibles. J'ai la même exigence pour mes créations. Si je crée d'abord avec les yeux, il n'y a rien de pire qu'un produit moins bon que ce qu'il en a l'air !
Vous êtes beaucoup copié à travers le monde... ça vous flatte ou ça vous énerve ?
Au départ ça m'énervait beaucoup. Les nouveaux design étaient instantanément copiés et de faux produits sortaient très vite sur le marché. Il y a même des boutiques qui portent mon nom, alors que je n'y ait jamais mis les pieds. Et puis j'ai appris à relativiser avec le temps. Etre copié, cela veut avant tout dire que l'on est devenu un référent. Et mieux vaut être une référence qu'un copieur...
Vous avez déjà quatre boutiques à Londres, avec une 5e prévue pour la rentrée. Quelle est votre ambition pour la suite ?
L'idée est bien sûr d'ouvrir d'autres boutiques, mais aussi de développer d'autres marques... J'y réfléchis sérieusement.