Tout au bout de la rue de Lille, dans le 7e arrondissement de Paris, l’adresse est élégante, à quelques numéros de l’immeuble qu’habitait Jacques Lacan, non loin de la maison de Serge Gainsbourg. Au-dessus de la porte, l’enseigne du 7L, dessinée par Karl Lagerfeld, se remarque à peine plus que celle des antiquaires alentour. C’est un lieu qui veut rester discret et dont on parle beaucoup, en partie ouvert au public pour la librairie et en partie privé pour la bibliothèque et son programme culturel.
Le 7L, une librairie mythique
Le 7L est un endroit mythique : il abrite la librairie d’art de Karl Lagerfeld et son ancien studio de photographie, qui est aussi une bibliothèque majestueuse et intime. Juste derrière, une loge, restée intacte elle aussi, avec des miroirs illuminés d’ampoules bleues pour adoucir l'éclairage, et un paravent en bois peint de grandes roses rouges. Mais pour découvrir l’ensemble de ces espaces, il faut être membre des Amis du 7L.
Initialement, le 7, rue de Lille était un lieu de stockage de papier, puis le siège d’un magazine automobile. À partir de 1991, il a été occupé par le producteur de cinéma Claude Berri, qui y a tenu une galerie d’art, Renn Espace d'art contemporain. C’est en 1999 que Karl Lagerfeld s’y installe. Dans la librairie, l’idée est de proposer un choix précis d’ouvrages sur la photographie et, plus largement, sur les arts. Le principe : présenter les livres à plat ou sur des cimaises, afin qu’ils soient tous à égalité et que l’on puisse lire les titres facilement. Les catalogues de toutes les expositions en cours ou récentes y figurent, entourés de biographies, d’essais et de livres « éternels » – pour ne pas dire long-sellers.
Le studio d'un photographe et bibliophile passionné
Le studio photo, aujourd’hui désigné comme “le plateau-bibliothèque”, se trouve derrière une lourde porte, comme les coulisses d’un théâtre. D’ailleurs, la veille de notre visite avait lieu une répétition générale d’une pièce de théâtre inspirée de l’œuvre de Michelangelo Antonioni par Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, Le Silence, qui se joue au Théâtre du Vieux-Colombier à partir du 31 janvier.
Entrer dans le studio de Karl Lagerfeld est un voyage immobile. Le regard s’arrête sur les livres. Les étagères, accessibles aussi par une coursive suspendue, montent jusqu’à la verrière. “Si vous consultez un livre, merci de le laisser ensuite sur une table”, est-il indiqué sur de petits panneaux. Ce n’est pas la collection d’un bibliophile, mais celle d’un lecteur, d’un amateur, d’un curieux. Les ouvrages sont ceux qu’il a achetés et utilisés, puis rangés dans un ordre qui lui était propre. Proust voisine avec Madame de Staël, le Dictionnaire du Grand Siècle de François Bluche avec une monographie sur Daidō Moriyama, et le catalogue de la documenta 5 de 1972 avec un livre sur Félix Vallotton.
On raconte que Karl Lagerfeld venait là le soir pour des séances photo, deux ou trois fois par semaine, après des journées passées rue Cambon ou à Rome. On dit aussi qu’il achetait toujours les livres en plusieurs exemplaires : un pour être annoté ou découpé, un autre pour être conservé intact, et d’autres pour offrir. Tout autour de la pièce, les longs canapés profonds, les échelles de bibliothèque à plateforme, les drôles de cloches métalliques au plafond, les deux flashs, les lampes de cinéma et une cabine de Photomaton ont été laissés intacts. Seuls quelques tapis et fauteuils provenant de plusieurs de ses maisons ont été rajoutés.
Chaque jour, le programme est intense. Dans l'espace d’exposition sont actuellement accrochés 13 portraits d’artistes par Agnès Varda, choisis par ses enfants, Rosalie Varda et Mathieu Demy : Delphine Seyrig, Federico Fellini, Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet... En plus des séances de signatures et de la programmation culturelle Correspondances, les Amis du 7L peuvent, tous les premiers mercredis de chaque mois, assister au Salon de lecture, où un·e invité·e présente un ensemble de livres.
Ils pourront aussi écouter une œuvre sonore du collectif expérimental fondé par Stephan Crasneanscki en 2000, Soundwalk Collective, dans laquelle des personnalités des arts telles que FKA twigs, Charlotte Rampling ou encore Anri Sala liront des ouvrages de la bibliothèque. Aujourd’hui, l’équipe continue de découvrir ces murs de livres, où on glisse un fantôme quand on consulte un ouvrage [les fantômes de bibliothèque servent à indiquer la localisation d'un livre absent]. Le 7L se construit comme un lieu à part, comme une matière vive en suspens.
Anaël Pigeat est critique d’art, editor-at-large du mensuel The Art Newspaper, journaliste pour Paris Match et commissaire d’exposition.