Mystique, oscillant entre ombre et lumière, son allure peu commune intrigue. À seulement 25 ans, Glitter٥٥ saisit déjà les spécialistes et les aficionados de musique électronique. On a pu l’écouter cette année au festival We Love Green, à la Concrète à plusieurs reprises mais aussi lors de la Beirut Électro Parade, un festival organisé à la Belleviloise (Paris XXe).
Mélomane et musicienne depuis sa plus tendre enfance, la native de Rabat (Maroc) — qui se prénomme en réalité Manar — ne se prédestinait pourtant pas à cette carrière. Ce qui relevait d’abord de la passion, s’est imposé à elle plus tard comme une vocation, d’abord en tant que manager d’artiste puis, en tant que DJ. Par hasard, elle semble être arrivée au bon moment, au juste endroit, précisément lorsqu’en France, une scène orientale électronique se dessinait. Depuis, elle exhume titres de raï et musiques populaires arabes oubliées en les croisant avec un répertoire éclectique, sillonnant les continents, engageant un dialogue de cultures qui s’emmêlent grâce à un beat ténébreux et des parenthèses mollement endiablées. Glitter٥٥ livre une musique virtuose, à cent lieues des poncifs.
Numéro: Votre nom complet de scène “ڭليث Glitter ٥٥” est particulièrement intrigant. Que signifient tous ces signes et toutes ces lettres ?
Glitter ٥٥ : L’idée d’utiliser le mot “Glitter”, qui signifie “scintiller” en anglais, est née de ma passion pour les chaussettes à paillettes, car j’en porte très souvent [rires]. Puis, j’y ai ajouté le mot retranscrit en lettres arabes pour faire un petit clin d’œil à ma langue maternelle. En ce qui concerne les deux cercles, c’est un peu plus compliqué : en chiffres indiens — que l’on utilise en arabe classique — “٥” signifie 5. On retrouve donc le nombre 55, une célèbre incantation au Maroc pour se protéger du mauvais œil.
À quel moment le virus de la musique vous a-t-il frappé ?
Tout a commencé à la maison – mes parents écoutaient beaucoup de musique – puis au conservatoire à Rabat. Je m’exerçais sur des morceaux très classiques d’abord, qui, contrairement à ce que l’on peut penser, n’ont rien à voir avec la musique arabe, en somme une formation très traditionnelle, du point de vue occidental, avec l’apprentissage des bases du solfège, et des morceaux de grands compositeurs comme Bach ou Mozart.
Votre passion pour la musique électronique s’est-elle manifestée lors de votre adolescence ?
Adolescente, je me suis détachée de ce style de musique. J’écoutais du rock, de la pop britannique, des groupes comme les Libertines par exemple, qui était d’ailleurs très en vogue à ce moment-là. À cette époque, mes premières soirées d’ado m’ont familiarisé avec la musique électronique, néanmoins c’est une fois arrivé en France que je m’y suis interessée plus sérieusement.
“J’écoutais énormément de musique arabe [...] et une fois que l’ont commence à s’y intéresser, à creuser, c’est un répertoire interminable que l’on découvre, bien que certains morceaux et artistes aient été complètement oubliés.”
Quand avez vous su que vous souhaitiez y consacrer votre carrière ?
Je me suis d'abord lancé dans la musique en montant ma propre agence de management d’artiste, il y a trois ans. Depuis, je gère des groupes en développement, une activité qui me permet de porter un regard plus critique sur la communication et la manière de produire un projet même si, pour ma part, je ne produis pas encore mes propres musiques. Je me contente de l’éditer et de sampler des voix...
Justement, quelle musique empruntez-vous pour vos sets ?
En termes de teinte musicale j’emprunte principalement des sonorités issues du continent africain en général et en particulier de l’Afrique du sud et de l’est ainsi que du Maghreb.
Écoutiez-vous ce genre de musique avant de vous rendre ici en France ?
Déjà au Maroc, j'écoutais énormément de musique arabe et principalement du raï et des artistes comme Cheb Hasni, Cheikha Rimitti, Cheba Zahouani ainsi que du chaïbi (une musique populaire festive). Plus jeune, lors des mariages, je m’enflammais dès que l’orchestre commençait à jouer. Ce sont également des artistes que j’écoute encore tous les jours, je peux m’enfiler un album de raï au réveil ! D’ailleurs, une fois que l’ont commence à s’y intéresser, à creuser, on découvre un répertoire interminable, bien que certains morceaux et artistes aient été complètement oubliés.
En croisant toutes ces influences, finalement, comment qualifieriez-vous votre musique ?
Sombre d’abord, car il ne s’agit pas d’une musique de fête à proprement parler bien qu’elle incite à danser. Je dirais également hybride, j’écoute des styles de musique très différents et par conséquent, si dans certains sets je privilégie plus de percussions qui viennent d’Afrique du Sud, d’autres seront davantage influencés par la musique britannique électronique… Enfin, je l’espère, une musique dépaysante qui appelle au voyage.
“C’est une scène pleine d’artistes curieux, qui ne vont pas arrêter de la développer de plus en plus, et selon moi, elle ne peut que grandir et avoir une place.”
Aujourd’hui, vous n’êtes pas seule à puiser dans le répertoire de la musique arabe pour mixer, pensez qu'un mouvement collectif se dessine ?
J’entretiens des relations avec quelques DJs et producteurs issus de cette sphère, car j'estime que nous sommes peu nombreux et qu’il est important d’avoir une scène solide. Ils ne sont pas forcément tous marocains, je pense notamment à Hadi Zeidan, qui est originaire de Beyrouth, et que je vois très souvent. Par ailleurs, les interprètes ne jouent pas exclusivement des morceaux qui puisent dans le répertoire arabe, mais c’est extrêmement intéressant d’écouter leur point de vue sur l’évolution de cette scène.
Le temps est-il favorable à l’émergence d’une scène similaire dans les pays arabes ?
En ce qui concerne l’offre musicale au Maroc du moins, les jeunes ont aujourd’hui beaucoup plus de chance que moi à l’époque. Il existe plusieurs festivals et notamment l’Atlas Electronic Festival, l’Oasis Festival à Marrakech ou encore le Moga Festival à Essaouira — qui m’ont d’ailleurs invité à jouer au mois d’octobre — qui laissent généralement de plus en plus de place aux artistes marocains. Quoi qu’il en soit, il y a cinq ans à peine, tous ces festivals n’existaient pas. Il n'y avait que des raves party, très secrètes, qui s’organisaient dans la précipitation, sans production et sans programmation internationale. Pour s’y rendre, il fallait rester connecté sur MSN et espérer que quelqu’un partage le lien et l’adresse du lieu… Une autre époque ! Aujourd’hui, les jeunes peuvent aller voir plein de groupes sans attendre l’été et demander des visas puisque ces nouveaux festivals sont tout aussi qualitatifs qu’en Europe.
Plus tôt vous évoquiez la question de la musique arabe qui sombre dans l’oubli. À votre avis, comment s’annonce aujourd’hui l’avenir de la scène électro arabe ?
Je pense que c’est une scène pleine d’artistes curieux, qui ne vont pas arrêter de la développer, et selon moi, elle ne peut que grandir et avoir une place. Plus ouvertement, la scène électronique africaine et arabe est une scène qui a un avenir prometteur parce que les producteurs ne sont plus résignés à faire des choses qui puisent dans leurs traditions, qui puisent dans la musique traditionnelle. Ils proposent des morceaux qui vont au-delà, tout aussi pertinents désormais.
Glitter ٥٥ se produira prochainement à Le Sucre (Lyon) le 31 août prochain, et au Festival Moga à Essaouira (Maroc) en octobre 2019.