Jenny Holzer : les mots pour combattre les maux
Depuis la fin des années 70, Jenny Holzer a fait du texte le cœur de son expression artistique. Projetés sur les écrans de Times Square, sur la façade du musée du Louvre ou encore diffusés sur des écrans plasma habillant les parois d’un camion noir, ses messages ont longtemps habillé les espaces publics et leurs traditionnels supports publicitaires, ainsi transformés en vecteurs de ses pensées engagées. En cette période de confinement ayant contraint la majorité de la population mondiale à rester chez elle, quoi de plus approprié pour l’artiste américaine qu’utiliser non plus des lieux extérieurs mais des espaces virtuels? Par sa force de frappe, Instagram se révèle en effet être la plateforme idéale pour transmettre ses nouveaux messages. Avec le réalisateur et graphiste Paul Kamuf, Jenny Holzer donne vie sur fond noir à des phrases puissantes liées au contexte actuel : “We want to live” (“Nous voulons vivre”), “Moral injury” (“Blessure morale”) ou tout simplement “Grief” (“Deuil”). Parmi elles, on retrouve aussi quelques injonctions plus prosaïques à la responsabilité individuelle, telles que “Know where your hands are at all times” (“Sachez où sont vos mains en permanence”) ou encore “Wash your thumbs too” (“Lavez vos pouces aussi”).
David Hockney : la Normandie peinte sur iPad
Jeudi 16 avril, David Hockney publiait dans divers médias une lettre ouverte adressée à son amie Ruth Mackenzie, directrice artistique du théâtre du Châtelet. Si cette missive pouvait de prime abord sembler personnelle, elle révélait en réalité un véritable message d’amour destiné à la France, et un hommage tout particulier à la Normandie, sa région d’adoption dans laquelle il a séjourné pour la première fois l’an passé, et dans laquelle il est actuellement confiné. Outre ses mots puissants, l’artiste britannique profite de cette période pour poursuivre ses peintures et dessins sur iPad, technique qu’il a entamée dès 2009. Par l’intermédiaire de la BBC, le peintre de 83 ans dévoilait il y a quelques semaines dix de ces œuvres récentes, dont neuf inédites. Entre les arbres en fleurs sous la lumière du printemps naissant, les parterres de jonquilles et les champs de verdure s’étendant à perte de vue, ces tableaux déploient dans leur poésie silencieuse toute la beauté des paysages normands à travers le regard fasciné de l’artiste.
Takashi Murakami : la calligraphie, un retour aux sources
Pour nombre d’entre nous, la période de confinement fut l’occasion d’explorer des activités nouvelles ou de renouer avec des pratiques délaissées : apprentissage d’une langue ou d’un instrument, broderie, cuisine… Ce fut également le cas pour plusieurs artistes, à l’instar du Japonais Takashi Murakami qui a saisi cette opportunité pour se replonger dans la calligraphie. Entre l'âge de 5 et de 17 ans, l’artiste star a en effet étudié cette technique traditionnelle dans une école spécialisée, faisant ainsi ses premiers pas dans la peinture. Ces dernières semaines, en hommage à sa mère qui affectionne tout particulièrement cet art si singulier, l’artiste a donc repris la calligraphie en choisissant cette fois-ci comme support des filtres à café déjà utilisés, brunis et tachés par la poudre sombre. Outre les lettres à l’encre de Chine, l’artiste y peint également ses fameuses marguerites au visage de smiley souriant.
Cindy Sherman : les selfies de l'ennui
Spécialiste de la métamorphose, Cindy Sherman fait de son compte Instagram le support de ses différentes transformations depuis plusieurs années. Affublé de maquillage, de perruques et de couronnes, placé devant divers arrière-plans, déformé et remodelé par la retouche numérique, son visage se réincarne sur chaque selfie en un nouveau personnage, qui compose, avec les précédents, une véritable galerie de portraits virtuelle. Durant ces dernières semaines, l’artiste américaine a ajouté à ce trombinoscope une poignée de nouveaux autoportraits évoquant l’irrémédiable attente amenée par cette période, et l’ennui qui en découle.
Jon Rafman : le monde vu par Google Street View
Entamé en 2008, le projet 9 eyes de Jon Rafman fait sans doute partie des démarches les plus visionnaires de ces deux dernières années, illustrant la place grandissante occupée par Internet et Google dans notre quotidien. Parcourant la planète entière via la plateforme Google Street View encore toute récente, l’artiste québécois y traque des situations insolites, qu’il capture et compile sur un blog en ligne : un élan perdu au milieu du bitume, une pyramide de voitures empilées au milieu d’une place, un individu assoupi sur un banc déguisé en Power Ranger… Outre leur caractère saugrenu parfois amusant, ces scènes révèlent une réalité plus inquiétante, celle de la surveillance de masse opérée par le géant de la technologie – une réflexion encore en germe à la fin des années 2010. Mis entre parenthèses pendant quelques temps, le projet est relancé par l’artiste il y a deux mois, quelques jours après le début du confinement. L’occasion pour nous de le redécouvrir via son blog et son compte Instagram, régulièrement enrichis de ses nouvelles découvertes.
Harley Weir : des céramiques aux enchères
On connaît Harley Weir pour ses talents de photographe qui, depuis bientôt dix ans, lui valent une reconnaissance internationale, de nombreuses collaborations artistiques et commerciales, ainsi que plusieurs expositions – l’une des dernières en date présentait à la Maison européenne de la photographie ses clichés réalisés autour de la frontière entre Israël et Palestine. Pendant le confinement, la jeune Britannique a mis en avant un aspect bien moins connu de sa pratique artistique : la céramique. Jusqu’au 4 mai, une sélection de ses sculptures, vases, carafes et masques pourvus de visages, corps féminins, animaux et de vives couleurs était mise aux enchères par l’artiste sur son site Internet à l’occasion d’une vente caritative, destinée lever des fonds pour les maisons de repos accueillant des personnes âgées souffrant du Covid-19, ainsi que pour la recherche sur l’Alzheimer. Son père, lui-même atteint de cette dernière pathologie, a d’ailleurs contribué à un certain nombre de ces créations.
Petra Cortright : des natures mortes à la webcam
Pour Petra Cortright, l’image numérique représente un terrain de jeu infini. En utilisant les animations digitales, les émoticônes, le glitch et la webcam, l’artiste américaine n'a cessé de repousser les limites de ce langage contemporain pour en faire un espace d’expression et d’expérimentation libre. Récemment, elle dévoilait des fragments bruts, ni retouchés ni montés, de plusieurs de ses vidéos dans lesquelles elle réinterprétait un genre incontournable de l’histoire picturale : la nature morte. Prenant pour objet des vases agrémentés de quelques fleurs, l’artiste les filme avec sa webcam devant des fonds unis et colorés afin d’obtenir un objet numérique qu’elle peut ensuite fragmenter, déformer et déconstruire à l’envi. En résultent des vidéos transformées en puzzles virtuels par le simple déplacement du pixel.
Doug Aitken : l'espoir d'un avenir meilleur
On n'a jamais vu autant d’expositions, de foires et de visites virtuelles que depuis deux mois. Après Art Basel Hong Kong ou encore Dallas Art Fair, c’était au tour de la foire Frieze de tenir son édition new-yorkaise intégralement en ligne. Parmi les 200 galeries participant à l’événement inauguré vendredi dernier, la 303 gallery y propose un stand virtuel riche d’une dizaine d’œuvres, incluant la dernière pièce de Doug Aitken baptisée FUTURE (open doors). Dans un écho amusant au travail de Jenny Holzer évoqué plus tôt, l’artiste américain a réalisé une sculpture écrivant dans une boîte lumineuse le mot “FUTURE”, dont les six lettres se voient remplies de stalactites qu’il a photographiées. Pour l’instant intégralement digitale, cette œuvre bientôt transposée en volume sera certainement l’une des images les plus éloquentes de cette période : celle d’un présent plongé dans les tréfonds d’une grotte où percent les lumières d’un avenir meilleur.