Vautré sur une chaise de bureau minable, dans son appartement parisien impersonnel, Vernon Subutex lance une vidéo pornographique sur son ordinateur. Un café à la main, il savoure sa condition de cliché ambulant, célibataire à la barbe hirsute qui a abandonné tout projet capillaire. Pourtant, sous les traits de Romain Duris, rien ne peut entamer le flegme de ce quadragénaire charismatique. Pas même les trois gus qui déboulent dans son salon pour le dégager manu militari parce que son loyer n’est qu’un lointain souvenir.
Réac, nymphomane, rentière dépressive, hardeuse, toxico, prolo, bobo, lesbienne, trans, trader, étudiante voilée... En 2015, Despentes met en scène des personnages névrosés, à la fois détestables et captivants, drolatiques et ridicules.
Le héros de Virginie Despentes s’en vante : il est le dernier de son espèce. Devenu légende urbaine, l’ex-patron du Revolver, un magasin de disques branché, s’est entiché du punk-rock et de la locution “carpe diem”. Mais, ces derniers temps, ça ne va pas fort. Le rockeur Alex Bleach, superstar black sulfureuse, vient de sniffer sa dernière ligne. C’était son meilleur ami. À la recherche de ses vieilles connaissances, Vernon Subutex demeure le héraut d’une époque révolue, quoique fantasmée, celle où les gifles n’engendraient pas de polémiques, où le speed se dégustait au petit déjeuner, où les guitares saturées galvanisaient la jeunesse jusqu’à l’aube.
“Vernon Subutex” – Trailer
Réac, nymphomane, rentière dépressive, hardeuse, toxico, prolo, bobo, lesbienne, trans, trader, étudiante voilée... En 2015, sous couvert d’une enquête alambiquée, prétexte à l’exercice de style politiquement incorrect, Despentes met en scène des personnages névrosés, à la fois détestables et captivants, drolatiques et ridicules. La romancière scinde son pavé de 1 400 pages en trois tomes : Vernon Subutex,son septième roman après Baise-moi (1993), cartonne en librairie. Déjà aux manettes de la série Hard, diffusée sur Canal + de 2008 à 2015, la réalisatrice française Cathy Verney reprend du service sur la même chaîne. Elle adapte le best-seller de Despentes en format court – dix épisodes de trente minutes –, une série plus catholique que l’œuvre d’origine, où l’écriture obscène de l’auteure électrise le récit. Sur Canal, tout passe par Duris : “Vernon n’a pas changé, c’est le monde autour de lui qui s’est transformé. Qui d’autre que Romain pouvait incarner ce symbole d’une jeunesse révolue ? s’amuse la cinéaste. On a vu grandir cet acteur, il fait partie de la mémoire collective, mais ce n’est pas le Vernon du roman.”
On s’attend à une œuvre sombre, irrévérencieuse, voire résolument trash.
On s’attend à une œuvre sombre, irrévérencieuse, voire résolument trash. Pourtant ce Vernon Subutex apparaît plus lumineux que celui de l’ouvrage. Plus drôle aussi, mais dépouillé de l’empathie sidérante qu’il provoque dans le roman, malgré la patte de Benjamin Dupas, scénariste de la série Dix pour cent. Aux côtés de l’acteur fétiche de Cédric Klapisch, une armada de comédiens : Céline Sallette (De rouille et d’os), Philippe Rebbot (L’Ennui), Laurent Lucas (Le Bureau des légendes) et les chanteuses Flora Fischbach et Calypso Valois. La chaîne mise beaucoup sur ses créations originales, encore davantage depuis qu’elle n’a plus le monopole du football.
L’adaptation de Cathy Verney cherche Despentes du regard, reprenant ses répliques au mot près, mais s’autorisant plusieurs ralentis sur des personnages secondaires. Quant à la bande-son, la musique est essentiellement intradiégétique – située à l’intérieur de la narration –, le rock jaillit souvent d’une enceinte ou d’un écouteur d’iPhone. Sans parvenir au niveau d’insolence du roman, la série Vernon Subutex remplit tout de même son contrat : livrer un divertissement enlevé dans lequel Romain Duris crève l’écran.
Vernon Subutex, diffusé sur Canal + à partir du 8 avril.