L’œuvre d’art se suffit-elle à elle-même ? Ou, au contraire, devient-elle une œuvre à part entière seulement au moment où le spectateur engage une relation avec elle, en laissant parler son imaginaire ? Des interrogations auxquelles l’artiste allemand Franz Erhard Walther a répondu de manière tranchée dès 1963, année où il débute sa série 1. Werksazt (“Première Série d'œuvres”), en travaillant sur une série de 58 “objets” possiblement activables par l’homme. A l’époque, il s’agit d’une véritable rupture avec un système qui ne tolérait que la contemplation des œuvres et non la possibilité de les saisir, d’y participer ou de s’en emparer. Franz Erhard Walther prend alors le parti de faire corps avec elles et de s’en parer tels des tapis ou des gilets. Actuellement présentée à la galerie Jocelyn Wolff, son exposition “Du corps vers la sculpture” dévoile plusieurs dessins, sculptures murales et des “objets” aux formes géométriques minimalistes –carrés, rectangles– réalisés en tissu par l’artiste.
Lauréat du Lion d’or à la 57e Biennale de Venise (2017), l’artiste de 79 ans ne se lasse pas de mettre en contact le monde physique et le monde des idées. C’est à cette occasion que l’artiste a séduit le jury l'année dernière en présentant un ensemble imposant mais accessible aux visiteurs, puisque conçu pour que les individus puissent se glisser à l’intérieur des objets en tissu et colorés. Franz Erhard Walther y a réalisé une performance baptisée : "Eight Stride Pedestal” en se déplaçant sur la pièce posée au sol, un processus qui a activé le piédestal.
En ce moment, à la galerie Jocelyn Wolff, l’artiste présente des pièces phares issues de séries antérieures ou élaborées il y a des années en vue de cette exposition. Dans une première salle blanche immaculée, deux sculptures murales aux tonalités jaune vif appellent le spectateur à s’entretenir avec elles. À leurs extrémités, des triangles rouges peuvent être démontés pour se transformer en socles. En activant ces piédestaux, l’individu peut ainsi s’insérer à l’intérieur de l’œuvre pour ne faire qu’un avec elle. À l’autre bout de la pièce, une grande plaque métallique présentée au sol – issue de la série Mecanic Pieces (1970) – ressemble à une sépulture de luxe : à sa surface est inscrit le mot “Umwandlung” (“Métamorphose”) qui propose explicitement la transformation de l’objet en véritable œuvre par l’initiative d’un visiteur.
“Dans un couloir adjacent, le travail de Franz Erhard Walther se construit sur l’expérimentation du volume, de la structure, notamment à travers des cadres en tissu”, explique la galeriste. En confrontant le spectateur à ces cadres, Walther l’incite à s’intéresser à ces surfaces monochromes et à les parachever mentalement. L’accomplissement de l’œuvre d’art semble prendre forme à travers le regard du spectateur. Une deuxième sculpture murale, toute en longueur, composée de trois bandes colorées, surplombe la dernière pièce. Sous les traits d’un jeu vidéo d'emboîtement semblable à Tetris, les tonalités vives de l’œuvre appellent le spectateur à se déplacer sur les bandes au sol. En face : des cadres renfermant les dessins préparatoires de l’artiste opèrent un véritable travail de documentation permettant de comprendre sa manière de conceptualiser les pièces mais aussi de les activer.
"Du corps vers la sculpture” est exposée à la galerie Jocelyn Wolff jusqu'au 22 décembre.