Retrouvez ce portrait dans le Numéro Homme 44, disponible en kiosque et sur iPad depuis le 14 octobre.
L’annonce ne va pas casser Internet mais elle en amusera plus d’un : Emmanuel Perrotin se lance dans les tutos, ces petites vidéos fun et pédagogiques qui fleurissent sur les réseaux. Va-t-il y expliquer la recette d’un cake de Takashi Murakami ? Au contraire, le cinquantenaire y apparaît, présidentiel derrière son bureau, pour rappeler les valeurs de sa galerie, ses méthodes de travail ou, plus prosaïquement, quelques règles de vivre-ensemble. Ne les cherchez pas sur TikTok, les vidéos ne sont accessibles qu’à ses employés, à travers l’appli de l’entreprise. Après trente-trois ans de carrière (il a fondé sa galerie à l’âge de seulement 21 ans), l’homme qui dirige aujourd’hui 160 salariés n’a qu’une obsession : faire tourner la machine, partout, tout le temps. C’est que le réseau Perrotin s’étend désormais sur quatre continents et sept villes (de Paris à Séoul, de Dubai à New York). Derrière le cliché de party boy se terre en réalité un Emmanuel Perrotin entrepreneur, geek (dès son premier emploi à l’âge de 18 ans), intensément innovant et disruptif.
D’Emmanuel Perrotin, on aime surtout à rappeler les frasques – savamment mises en scène par lui-même, en excellent communicant. En 1995, sur une idée de l’artiste Maurizio Cattelan (qu’il représente), il revêt un costume phallique de lapin rose pour accueillir les collectionneurs. Vingt-cinq ans plus tard, il surfe sur le buzz de la fameuse banane du même artiste. Un fruit sommairement scotché au mur et vendu à 120 000 dollars par sa galerie à Art Basel Miami. Entre les deux, Perrotin acquiert la réputation d’“oiseau de nuit” (il est vrai que ses fêtes sont réussies) rentré dans le star-system en associant son image à Pharrell Williams, entre autres. Là où certains voient une nature, l’homme dessine en réalité une stratégie. “Quand j’ai ouvert ma galerie, je n’étais pas bien né et je n’avais pas les réseaux, confie-t-il. Si je voulais que les gens viennent à nous, il fallait que l’on parle de nous. C’était une nécessité. En popularisant la galerie, je permets aussi à mes artistes de profiter de la marque Perrotin, devenue un vecteur de communication en soi.” Populaire, à l’instar de ce Perrotin Store – mêlant merchandising et œuvres bling-bling – ouvert cet été en plein Las Vegas, ou comme ses artistes méga stars Kaws et JR qui déplacent les foules, mais font se pincer le nez à la partie la plus snob du monde de l’art. “On semblerait dire que la variété de mes goûts est une incohérence ; moi, je parlerais plutôt d’ouverture d’esprit. Comme pour la musique, j’aime beaucoup de choses.” Sa programmation tient en effet de la mixtape, brassant des conceptuels comme le duo Elmgreen & Dragset et la Française Sophie Calle, des blockbusters comme Takashi Murakami, de très bons jeunes artistes en pleine ascension (Jean-Marie Appriou ou Genesis Belanger), des génies historiques coréens comme Park Seo-Bo et l’imagerie manga d’un Mr.
“La galerie a été une machine à rendre l’art contemporain plus accessible, explique-t-il. Je ne suis pas de ceux qui se satisfont d’être les rois de l’intérieur du périphérique.” Il fut en effet un précurseur en installant sa galerie à Hong Kong (2012), puis en Corée du Sud (2016). Il sera dès novembre 2022 à Dubai. “Depuis mes débuts, j’ai peur de l’ombre des grosses galeries. À tout moment, elles ont la puissance de dégainer pour vous prendre un artiste. Jusqu’à parfois le payer 50 millions de dollars...” Les projets fleurissent donc, aussi inattendus qu’iconoclastes (une marque de fabrique) : une bougie parfumée à l’essence de la galerie, une résidence d’artistes au cap Ferret, un speakeasy dans l’espace new- yorkais et... l’entrée dans la galerie du collectif new-yorkais MSCHF (prononcez “Mischief”). En se renseignant, on découvre parmi ses membres les auteurs d’une paire de Nike satanique et d’un collier de chien qui traduit les aboiements en insultes. “Ils seront peut-être les auteurs de la prochaine banane”, s’enthousiasme Emmanuel Perrotin. Pour faire partie du crew de Brooklyn, celui-ci a été mis au défi de leur voler un objet dans leur studio. Le galeriste est reparti avec un skateboard sous le manteau. Un prototype qu’il leur a rendu. Emmanuel Perrotin a toujours quelques clichés qui lui collent à la peau, mais jamais celui d’être malhonnête.