Des doudounes colorées d’où émergent des mains noires sont suspendues aux murs de la première salle telles des trophées inquiétants. Fidèle à son utilisation des matériaux souples, Annette Messager explore au début de son exposition les potentialités plastiques de pièces familières : le duvet et la doudoune. Déconstruites et recomposées, elle se muent en nouvelles formes où se discernent des cœurs et des vulves. L’artiste y convoque également une imagerie religieuse, en présentant sa vision moderne et païenne d’un Christ en croix.
Les mélopées en volume d’Annette Messager nous enveloppent alors d’une inquiétante étrangeté : où sont les corps qui d’usage les habitent?
Des mains noires y émergent telles des succubes, créatures qui peuplent les sommeils agités, et semblent nous happer. Malgré la sensation de confort qu’ils suggèrent, ces cocons rappellent inévitablement une triste réalité, celle du quotidien des migrants et des sans-abris. Les mélopées en volume d’Annette Messager nous enveloppent alors d’une inquiétante étrangeté : où sont les corps qui d’usage les habitent? L’artiste semble signifier derrière leur absence une oblitération morbide, dont les mains fragmentées ne seraient que traces d’un au-delà.
Annette Messager, “Sleeping Purple Passion” (2018). Courtesy de l'artiste et Marian Goodman Gallery. Crédit photo : Rebecca Fanuele
Annette Messager, “Innocents, help” (2017). Courtesy de l'artiste et Marian Goodman Gallery. Crédit photo : Rebecca Fanuele
Loin de s’en tenir à une présentation sommaire de ses pièces, Annette Messager déploie dans l’ensemble de la galerie une véritable narration. Au sous-sol, elle continue de tisser son fil macabre en convoquant l’imagerie de la sorcellerie et du vaudou. Des poupées sans visages clouées au mur portant des rouleaux de papier toilette colorés font face aux mots “Innocents help”, dans un tissage proche d’une toile d’araignée où sont pris des fragments de corps. Une fois de plus, Annette Messager s’emploie à la calligraphie textile en traçant au mur des messages ambigus, qui ici font écho au Massacre des Innocents de Nicolas Poussin. Avec la première installation vidéo de sa carrière, l’artiste nous plonge ensuite dans un noir profond où apparaissent des fragments de corps féminin : sein et ventre de femme enceinte caressé par une main tendre, chevelure balayée par une brise silencieuse. Annette Messager renoue avec l’un de ses thèmes chers, la maternité.
Émissaires d’un sommeil profond, les œuvres d’Annette Messager agissent telles des passeurs qui nous mènent du rêve au cauchemar.
Dans la dernière pièce de l’exposition, l’artiste continue de sonder le subconscient afin d’en extraire les créatures de minuit. En rassemblant totems, reliques et animaux empaillés, elle compose un mausolée d’ombres nocturnes qu’une lumière tournante projette à tour de rôle sur les murs de la cave en pierre. Avec cette Petite Babylone, telle que la nomme l’artiste, elle dessine la fragilité d’une histoire humaine soumise à la menace de son extinction. Ainsi émissaires d’un sommeil profond, les œuvres “berceuses” d’Annette Messager présentées chez Marian Goodman agissent telles des passeurs qui nous mènent du rêve au cauchemar.
L’exposition Annette Messager : Sleeping Songs est à voir jusqu’au 19 juillet à la galerie Marian Goodman, Paris 3e.