“Je n’avais pas prévu de devenir artiste. Je ne voulais pas être artiste. Ce métier me faisait vraiment peur, il est vraiment précaire. Le cliché de l’artiste qui en bave dans son atelier est une réalité. Au départ, je m’intéressais à l’architecture, au design, à la décoration d’intérieur, à la conception d’objet, ainsi qu’au design social ; aux questions de l’utilité de la production d’objets et de leur fonction.
J’ai grandi à Cherbourg, une petite ville de province, à l’atmosphère assez étrange, dont je suis partie pour aller étudier à l’école des Beaux-Arts de Lyon. La première année des Beaux-Arts est assez générale, et l’année suivante, on est censé choisir une spécialité. Je voulais me tourner vers le design d’objet, mais la section avait fermé quelques mois plus tôt. J’ai donc opté pour l’art.
“Mon expérience en Haïti a profondément changé ma vision du monde, ma manière de voir les choses en tant qu’artiste.”
Je me souviens avoir eu une belle conversation avec l’artiste allemande Katinka Bock, qui était à l’époque ma professeure. Cette discussion a été très importante, elle a été déterminante pour moi, car Katinka m’a dit : “Tu peux être une artiste. Tu en es capable. Tu as du talent.” Pour moi, c’est un modèle. J’aime son œuvre bien sûr, mais j’apprécie beaucoup ce qu’elle est, une figure de la femme artiste, qui a des enfants, qui est très forte et fragile à la fois. Cette même année a été marquée par une autre rencontre importante, avec l'artiste canadienne Lynne Cohen, qui était venue à Lyon pour une conférence. Elle préparait une exposition à Cherbourg et quand je l’ai revue, nous avons fait une visite d’atelier et elle m’a énormément apporté. Elle m’a donné de l’énergie, de l’espoir et m’a beaucoup encouragée. On a besoin de ça. Katinka et Lynne sont deux femmes fortes qui m’ont inspirée.
Ma famille m’a vraiment soutenue, tout en étant bien sûr un peu inquiète. Mes parents m’ont fait confiance et m’ont dit : “D’accord, fais ta vie.” Après cinq années à Lyon, j’ai eu envie de tenter de comprendre la réalité de la vie d’artiste. J’ai passé six mois aux côtés de Michel François à Bruxelles. C’est Michel qui m’a donné la force de dire : “Je pars en Haïti.” Ma mère est originaire de ce pays, mais elle n’y était pas retournée depuis longtemps. Je suis donc partie avec ma tante et nous avons organisé un camp d’été artistique pour des enfants près de Port-au-Prince. Cette expérience a profondément changé ma vision du monde, ma manière de voir les choses en tant qu’artiste, d’envisager mon rôle sur Terre en tant qu’artiste. J’ai écrit des textes, pris des photos et réalisé un film. Je suis revenue d’Haïti avec beaucoup d’images, et ce voyage m’a permis de renouveler ma pratique photographique.
Je pense que ma pratique, je la fonde sur mes erreurs. Tous les génies le sont devenus grâce à leurs erreurs. N’ayez pas peur de vous tromper. Vous pouvez apprendre beaucoup plus en faisant des erreurs, il faut les accepter. Votre ego veut uniquement vous voir réussir, et la société non plus ne valorise pas les erreurs. On nous apprend à toujours faire de notre mieux, à être le∙la meilleur∙e et avoir, in fine, du succès. On ne nous dit pas : “Tu vas tomber, deux fois, trois fois, cinq fois, puis tu apprendras quelque chose et tu comprendras.” C’est peut-être dans cette chute que réside l’essentiel.
Je mets toujours de l’énergie dans mon travail. Je crois en l’énergie des choses. Chaque création repose sur une intention réparatrice, destinée aux gens, à l’humanité ou à la Terre. En parallèle, je suis guérisseuse ; je réalise des séances de guérison énergétique. L’automne dernier, au Künstlerhaus Bethanien, à Berlin, j’ai proposé des séances de guérison gratuites dans le cadre de mon exposition. C’était la première fois que j’introduisais directement mon travail de guérisseuse dans ma pratique artistique. Je voulais offrir cela aux visiteurs de l’exposition. La générosité est une chose importante pour moi. C’est quelque chose qui nous manque dans ce monde.”
Gaëlle Choisne est représentée par Air de Paris (Romainville) et Nicoletti (Londres).
“Monument aux Vivant∙e∙s”, jusqu’au 17 juin 2023 au Palais de la Porte Dorée, Paris 12e.
Lillian Davies vit et écrit à Paris.
Traduction française : Henri Robert.
Toutes les photos par Marion Berrin pour Art Basel.