“La définition de moi-même ? C’est comme chercher la définition de l’infini.” La formule aurait pu être de Guillaume Dustan, elle est de Pier Paolo Pasolini. L’écrivain français, lui, a fait graver sur sa tombe : “J’ai toujours été pour tout être.” Pourquoi n’a-t-il pas pu être, alors, un Pasolini français ? Les deux poètes hédonistes et scandaleux, hissant à la surface du monde les égouts de la société, partagent un même sens de l’absolu, de l’engagement, du littéraire, de la reconfiguration de la langue et du dynamitage des catégories. Deux artistes unis par un même destin – la mort prématurée, mais séparés par la postérité. Disparu en 2005, l’homosexuel militant, le rageur de l’autofiction politique, Guillaume Dustan, n’a jamais accédé au statut du mythe italien.
Pourtant, sa trilogie inaugurale (Dans ma chambre, Je sors ce soir, Plus fort que moi), mitraillette littéraire à l’efficacité chirurgicale, description crue et méthodique d’une sexualité pédé qui vaut mode de vie, et dernier refuge de la subversion et de l’expérimentation, a bien été rééditée en 2013 (Œuvres I, éd. P.O.L.). Et son nom ne suscite plus l’effroi chez les ayatollahs homosexuels, ahuris par son engagement en faveur d’une sexualité joyeuse et décomplexée sans capote – c’est-à-dire laissant à chacun sa responsabilité et le droit absolu de disposer de son propre corps. Guillaume Dustan est même déterré cette année à l’initiative de trois (jeunes) commissaires d’exposition : Julien Laugier, Pascaline Morincôme et Olga Rozenblum. Le trio de l’espace parisien indépendant Treize (Paris XIe) a présenté les films, pour la plupart inconnus du public, de l’écrivain. On y découvre un Guillaume Dustan qui est avant tout un jouisseur. Aux descriptions crues des livres font écho les gros plans sur son sexe en érection. Dustan se masturbe, filme ses ébats avec son compagnon, ou les godes, regardés comme des objets parfaitement banals. C’est une réappropriation de son corps, de sa peau, de ses orifices, libérée de tout jugement moralisateur. Le plaisir de la sexualité et de ses expérimentations s’éloigne, grâce à l’esthétique très cheap de la caméra DV, d’une fantasmagorie érotique irréelle pour redevenir ce qu’il aurait toujours dû être : notre quotidien. Dustan filme de la même façon les bananes et les plugs oanaux, le soleil d’Ibiza et les squats underground. Car tous font partie d’une seule et même expérience existentielle voluptueuse.
Dustan prend beaucoup la parole, se filmant face caméra, seul, ou interviewé par un journaliste. Il ne se met pas en valeur. Ce travail égotiste n’a rien à voir avec le selfie d’Instagram. Dustan n’a pas peur de son double menton ou de ses problèmes de peau. Dustan n’a pas peur de la vie. Il déploie aussi dans ses films sa pensée individualiste et nietzschéenne (cette puissance vitale du sexe, de la drogue et de la musique) et son programme politique : devenir la reine des pédés. Des pédés qui formeraient le laboratoire par lequel la société pourra changer sa vision du corps, du mariage, de l’amour, du politique. Quatorze ans après sa mort, les pédés sont à présent devenus queer. Un label que se sont approprié toutes les marques et tous les artistes. Et loin d’avoir dynamité l’institution du mariage, les pédés s’y sont vautrés. Qu’en aurait pensé cet explorateur libertaire du corps et des nuits interlopes ?