Enfant terrible de Manhattan et de la scène underground post-punk, Jean-Michel Basquiat a laissé derrière lui près de 800 tableaux et 1500 dessins. Ce Peter Pan des eighties fauché en plein vol est célébré jusqu’au 28 janvier 2018 à la Barbican Art Gallery de Londres. L'exposition Basquiat : Boom for Real se concentre sur la relation entre l’artiste et la musique, l’écriture, le cinéma et la télévision, et l’intègre à l’émulsion culturelle qu’ont connue les années 1980. Peintures, dessins, collages, films, notes personnelles et objets y sont présentés : un récit poignant du dynamisme artistique de l’époque. Dans le New York de Grace Jones, entre le martèlement des Sex Pistols et les chuchotements mélodiques de Miles Davis, un gamin de 17 ans a quitté le nid familial pour atterrir dans la rue. Très vite sous les radars médiatiques, Jean-Michel Basquiat réinterprète la ville à sa façon et l’orne de graffitis avec son camarade de classe Al Diaz. Des esquisses et haïkus cinglants dont ils recouvraient les murs de la ville à la bombe, sous le nom de Samo (“Same Old Shit”).
Il venait d’exposer au Times Square Show, sa rencontre avec la dope était au stade du flirt et pas encore de cette idylle qui obscurcira son regard.
Emplies de références, les œuvres de Basquiat empruntent autant à l’Histoire qu’à l’astronomie, l’artiste afro-américain construit ses tableaux à partir de ses interrogations, la question identitaire que les journalistes lui rabâchent en permanence revient inévitablement. Et lorsqu’on lui demande pourquoi il s’enferme en sous-sol, il répond désarçonné : “C’est seulement par méchanceté, je n’ai jamais été enfermé nulle part. Si j’étais blanc on parlerait d’artiste résident.” Fascinants d’intensité, les travaux du New-Yorkais révèlent une narration à l’hémoglobine, certains croquis effectués avec son propre sang confirment le rôle de l’art dans son existence, avant tout un moyen de survivre. Devant sa toile, des étoiles en guise de pupilles, Basquiat dépeint ses états à grand renfort de cartoons qui l'inspirent et de sucker punch (coup en traître) qu'il inscrit en lettres rageuses sur ses toiles. Sur des panneaux de bois, Jean-Michel Basquiat livre une peinture sous héro, colorée et spontanée. À travers ses œuvres, il arpente la rue qui l’a vu débuter et l’on percute les mêmes thèmes : le rêve, le désir, la misère, la mort et la discrimination. Entre les pigments, un agrégat d’aphorismes teintés d’ironie, car Basquiat révèle sa version du repentir, il “redessine et efface mais jamais au point que l’on ne puisse voir ce qu’il y avait avant” pour reprendre ses propres termes.
Porté par une œuvre foisonnante et éphémère, Jean-Michel Basquiat doit son charisme à son regard dévorant et son allure de poète halluciné. Tels des slogans, ses strophes nerveuses témoigent d’une spiritualité profonde, vénéneuse et ironique. De Soho à l’East Village, quartier de Manhattan devenu chic après les nineties, Basquiat se distingue parmi les autres gars de la scène artistique. Il vient d’exposer au Times Square Show, et sa rencontre avec la dope en est encore au stade du flirt et pas encore de cette idylle qui obscurcira son regard. La reconnaissance publique arrive plus tard lors de l’exposition New York/New Wave au PS 1 Institute for Art. L’exposition de la Barbican Art Gallery reprend d'ailleurs une quinzaine d’œuvres issues de cette exposition initiale, qui permettent de comprendre l'origine de la fascination que suscite Jean-Michel Basquiat.
Basquiat mène une vie épicurienne et gouverne l’underground. Avec sa troupe, il finit ses soirées au Mudd Club, chantre de la contre-culture, et n’a que faire de l’infortune.
Fulgurante, l’ascension de Basquiat, est dénuée de mondanités dans la mesure du possible. Proche d’Andy Warhol, il écume les nightclubs auxquels il propose ses installations, transforme les galeries en pistes de danse lors des vernissages afin de détourner l’attention. Nouveau bohème issu de Brooklyn, Jean-Michel Basquiat mène une existence éblouissante, scandaleuse mais jamais mortifère. À 21 ans, le Portorico-Haïtien devient le plus jeune artiste jamais présenté à la Documenta de Kassel, l'exposition de référence de l'art moderne et contemporain. Dans la foulée, Basquiat participe à l’émission de Glen O’Brien TV Party, parenthèse insouciante d’un petit écran ultra formaté, puis collabore avec les musiciens K-Rob et Rammellze sur le titre “Beat Bop” en 1983.
Rammellzee et K-Rob - “Beat Bop”
En 1981, Jean-Michel Basquiat n’a pas encore vingt ans. Le réalisateur Edo Bertoglio en fait le fougueux héros de Downtown 81. Produit par Glen O'Brien, ce film à la bande-son splendide est rythmée par le timbre rauque du rappeur Saul Williams : le jeune Basquiat parcourt la ville à la recherche d’un toit pour la nuit. Au programme : signer les murs comme par habitude, heurter volontairement des déesses aux lèvres pulpeuses, danser frénétiquement sur un rap funky, zigzaguer entre les badauds aux coupes afro, un leitmotiv palpitant parce ce que justement, ce quotidien atypique semble si naturel. Car Basquiat mène une vie de pur épicurien, aux côtés de son ami Fab Five Freddy (qui signait le clip Rapture de Blondie la même année), il gouverne l’underground. Avec sa troupe, il finit ses soirées au Mudd Club, chantre de la contre-culture, et n’a que faire de l’infortune. Mais à l’orée des années 1980, des problèmes financiers nuisent à la post-production de Downtown 81. Ce n’est qu’en 1999 que l’intégralité de l’œuvre sera retrouvée. La bande-sonore se détériore avec le temps, c’est pour cela que Saul Williams ré-enregistre les dialogues et double Basquiat, décédé dix ans plus tôt. Ravagé par la disparition de Warhol, le génie disparaît, emporté par une overdose dans son appartement de Greta Jones Street quelques semaines seulement après sa tentative de rehab sur l’archipel de Hawaï.
Basquiat : Boom for Real, Barbican Art Gallery, Londres, jusqu’au 28 janvier 2018.