Lauréat du premier programme de mentorat Reiffers Art Initiatives, Kenny Dunkan présente au Studio des Acacias by Mazarine une nouvelle exposition nourrie des réflexions engagées pendant plusieurs mois avec son mentor, l’artiste africain-américain Rashid Johnson. “Parce qu’ils sont le reflet de ses plus belles possibilités, explique Paul-Emmanuel Reiffers, fondateur de Reiffers Art Initiatives, la France doit valoriser chez elle et à l’international les jeunes talents des arts plastiques et visuels résidant en son sein, en soutenant leur expression créative et en affirmant ainsi la force de son modèle pluriculturel unique. Cette diversité est le creuset d’une grande inventivité, tant ce qui s’y raconte est dense, complexe, entrecroisé. Initier ces échanges et révéler la nouvelle scène artistique est la mission que s’est fixée Reiffers Art Initiatives, fonds de dotation pour la nouvelle scène artistique française et la diversité culturelle. Notre programme international de mentorat a pour vocation d’initier des échanges, entre artistes, entre générations, entre cultures, et de faire émerger les talents de demain. Notre premier mentor, l’artiste africain-américain Rashid Johnson, a ainsi travaillé aux côtés du jeune artiste français Kenny Dunkan tout au long de l’année 2021. L’exposition de Kenny Dunkan est le fruit de ce dialogue. Comme un écho à la démarche de Rashid Johnson, elle porte un titre aussi bref que radical, “NO APOLOGIES”. Pour un art sans excuses ni compromis, laissant triompher sa grande intégrité.”
“NO APOLOGIES” dessine un parcours sensoriel et foisonnant au sein de plusieurs installations constituant autant de microclimats (sous-terrain, volcanique, sylvestre, spirituel) nourris de l’histoire personnelle de l’artiste : les carnavals caribéens de son enfance en Guadeloupe, sa peur des tremblements de terre de son île natale, ou les réminiscences de sa vie intime à Paris aujourd’hui. Kenny Dunkan se met à nu et, comme le titre qu’il a donné à son exposition le suggère, refuse de s’en excuser ou d’en avoir honte.
Sa première installation Nou Ka Véyéw, côté rue, signifie en créole : “On vous surveille”. Gros plan sur les narines de l’artiste, cette photographie gigantesque évoque autant un paysage que deux grands yeux tournés vers ce quartier des Champs-Élysées où l’artiste ne s’est jamais senti à l’aise, toujours observé. Kenny Dunkan renverse la situation : à présent, c’est lui qui scrute par ses yeux-narines gigantesques ceux qui le surveillaient.
En pénétrant l’exposition, le visiteur rentre littéralement dans la peau de l’artiste, pour faire l’expérience des sensations qui l’ont traversé. Un souffle bruyant se fait entendre dès la porte : le son amplifié de la respiration de Kenny Dunkan lui-même. Il ne cherche plus, comme à son habitude, à l’étouffer comme s’il ne fallait pas que son corps habite trop le monde. Au contraire : il l’assume pleinement.
La première salle est le fruit d’un dialogue entre Kenny Dunkan et une œuvre monumentale de Rashid Johnson, qui fut le mentor Reiffers Art Initiatives du Français au cours des six derniers mois. Issue de la célèbre série The Broken Men de l’artiste africain-américain, composée de centaines de petits morceaux céramique, elle représente des figures “cassées”. Un thème qui a inspiré à Kenny Dunkan ses Cracked Clouds (“nuages craquelés”), constitués, eux, d’une mosaïque de photos en gros plan d’un vase Vallauris. L’artiste français collectionne en effet ces céramiques dont il apprécie avant tout les “défauts”, qui apparaissent lorsque le vase éclate pendant la cuisson. Ce processus de destruction/création fait directement référence à l’œuvre de Rashid Johnson… fragmentée, cassée, mais toujours recomposée, à l’image de l’être humain.
En quittant cette première grotte évoquant les entrailles de la terre, nouveau microclimat : une vaste structure blanche dissimule le VOLKAN de Kenny Dunkan – “volcan” en créole – une projection épileptique sur un écran géant de toutes les photos prises par l’artiste sur son iPhone, de 2018 jusqu’au montage de l’exposition. Si Kenny Dunkan y dévoile toute son intimité – embrassant l’idée d’être vulnérable face au public, il y questionne également les logiques voyeuristes et exhibitionnistes accentuées par les réseaux sociaux. Couvrant le sol, les murs, et un “volcan” façonné par l’artiste, un motif de vase Vallauris évoque cette fois-ci la chaleur de la lave en fusion. La bande sonore, elle, fait vibrer l’ensemble à la manière d’un tremblement de terre guadeloupéen. Amplifiées par les enceintes, les frictions de Kenny Dunkan essuyant son corps avec une serviette se métamorphosent ici en son tellurique faisant résonner ses œuvres.
Dans l’escalier, l’artiste déploie une forêt de charms, objets protecteurs qui accompagnent son travail depuis de nombreuses années. Cette “forêt de croyances” propose un ensemble de nouvelles sculptures ambivalentes, armures protectrices et objets fantasmatiques, érotiques, voire sado-masochistes, dans l’attente d’être activés. La signification de chaque objet glisse d’un sens à l’autre, mélange de différentes histoires et identités, à l’image de la culture créole. Agité par des centaines de jeunes hommes pour dégager la rue pendant le carnaval antillais, le fouet devient symbole fête – réappropriation et retournement, à nouveau, par Kenny Duncan, d’un symbole d’oppression. En haut de l’escalier, la sculpture-corps intitulée Nèg Marron demeure inatteignable. Ce nom était donné aux esclaves qui fuyaient les plantations pour se réfugier dans les hauteurs de la montagne. Toujours utilisé comme une insulte aux Antilles pour désigner une personne aux manières de “sauvage”, le terme, réhabilité par l’artiste, devient ici une figure de résistance.
Au premier niveau, deux gisants semblent attendre un corps à venir. Sur les murs, deux Transferts sont accrochés. Kenny Dunkan les réalise en essuyant simplement sa peau sur des serviettes blanches. La mélanine secrétée par son corps noir y laisse des traces, formant de véritables peintures abstraites. En écho à son dialogue avec Rashid Johnson dans la première salle, Kenny Dunkan a demandé à l’artiste africain-américain de réaliser lui-même, avec sa propre peau et sa propre serviette blanche, l’un de ces Transferts, véritables suaires contemporains.
Au dernier étage, demeurant inaccessible au public, Kenny Dunkan a installé une série de plantes tropicales tournoyant sur elles-mêmes, visibles uniquement à travers la baie vitrée. Point d’arrivée, ouvert vers le ciel, d’un parcours commencé dans les tréfonds de la terre.