La course aux NFT n'est pas près de s’arrêter dans le monde de l’art, et finit par s'apparenter au concours du projet le plus invraisemblable. L'année a en effet été dense en projets intégralement dématérialisés et ventes aux enchères d’œuvres en crypto-monnaies, rendus possibles par cette récente technique d’authentification numérique, grâce à une signature encryptée. D'ailleurs les “non fungible tokens” (jetons non fongibles) sont même arrivés en tête du prestigieux classement annuel des personnalités les plus influentes du monde de l’art publié par le magazine Art Review la semaine dernière. L'engouement suscité par ce nouveau champ de spéculation n’a fait que se confirmer, il y a quelques jours, lorsque l’artiste et designer Pak a battu un nouveau record avec un projet NFT composé d’unités multiples dont la vente a atteint la somme totale de 91,8 millions de dollars. Mais quoi de mieux que la foire Art Basel Miami Beach, l’un des épicentres du marché de l’art contemporain, pour rendre compte de l’ampleur du phénomène ? Alors qu'elle vient à peine de clore sa nouvelle édition, la foire continue de faire parler d’elle depuis que l’une de ses participantes, l'artiste arménienne Narine Arakelian, a annoncé mettre aux enchères l’un de ses ovocytes pour accompagner une œuvre vendue sous forme virtuelle.
Exposée sur le stand de la galerie Artemiro du 2 au 4 décembre, l’œuvre en question, bel et bien physique, ne révèle rien à première vue de cet étonnant projet : on y lit les mots “Love, Hope, Live” ("Aime, Espère, Vis”), peints en or sur des carrés de papier imbriqués sur le mur comme une grille de mots croisés. La clé de l'énigme réside dans l’un des QR codes imprimés et encadrés à côté de l'œuvre. Encrypté dans le code informatique de cette partie numérique, un contrat assure que son acheteur sera propriétaire de l’un des ovocytes de l'auteure de l'œuvre (déjà mère d’un jeune adulte). Repérée par sa participation à plusieurs Biennales de Venise où elle représentait son pays, l'artiste arménienne justifie cet acte par le parallèle existant entre l’enfantement d’un nourrisson et la création d’une œuvre d’art. Au magazine américain Fortune, elle confiait récemment que ce projet, mûri pendant tout une année, était “l’un des plus beaux cadeaux que son art puisse donner.”
La vente de l’œuvre de Narine Arakelian aura donc lieu en deux temps : d'abord, sa vente physique par la galerie Artemiro, puis, un peu plus tard, sa vente NFT – l’artiste n’ayant pas encore choisi la date ni la maison de vente qui en sera chargée. Le marché des NFT étant en proie à d'impressionnantes et imprévisibles envolées financières depuis le record de vente atteint chez Christie’s en mars 2021, il est à l’heure actuelle impossible d’estimer la valeur d’un tel projet… et donc d'un véritable œuf humain. Quel que soit le montant final de la transaction, la transmission de l’ovocyte sera supervisée par des médecins et l’artiste espère déjà qu’il reviendra à un couple inapte à avoir un enfant. Ce surprenant projet marque la nouvelle édition de la foire Art Basel Miami Beach, peu avare de coups de théâtre : en 2019, lors de sa dernière édition avant une année blanche, Maurizio Cattelan avait capté l’attention en exposant puis vendant sur le stand de la galerie Perrotin une banane scotchée au mur pour la somme de 120 000 dollars. Alors qu’il y a deux ans, les NFT n’avaient encore que très peu pénétré les portes des foires d’art, leur impact récent et massif n’a pas fini de faire des émules, et pourrait bien souffler également à l’artiste italien le désir d’aller encore plus loin dans sa démarche provocatrice.