Couleurs criardes, ornementalisme débridé, figuration parfois hautement naïve impliquant chatons, fruits et théières, visages façon portraits du Fayoum soumis à de violentes solarisations… Nicolas Party ne mit pas toutes les chances de son côté pour susciter l’intérêt d’une discipline peu avide d’incongruité. Son tableau Landscape, un pastel sur toile daté de 2015, estimé entre 100 000 et 150 000 dollars par la maison de ventes Phillips, s’est pourtant vendu plus de six fois son estimation basse, à 608 000 dollars en mai 2019. Un record en termes de mauvaise prévision, malgré un précédent récent : Sunset, un autre pastel sur toile estimé à 60 000 dollars, qui trouva acquéreur pour 330 000 chez Phillips en 2018, l’année même de sa réalisation, à l’occasion de la New York Charity Auction.
Cet été, au Modern Institute de Glasgow, son exposition Polychrome le fut, assurément, avec ses murs jaune vif, ses grands socles faisant office d’éléments architecturaux rouges ou violets, et ses sculptures de fragments de corps : un pied vert, un buste violet, un doigt bleu… complétés par des pastels sur toile figurant de curieux personnages comme étonnés d’être entourés de papillons. L’espace était divisé en plusieurs salles, reliées par de petites portes au faîte arrondi ouvrant sur un “monde” que l’artiste prend plaisir à rendre complexe, noyant le spectateur dans un flot d’informations visuelles interdisant une lecture univoque. Si Nicolas Party cite Gauguin (“Je ne veux faire que de l’art simple”), ses expositions relèvent toutefois d’un patient travail de layering [stratification], entravant une consommation trop rapide. Son univers aussi unique qu’inattendu entrelace des influences allant des sarcophages égyptiens à Félix Vallotton, René Magritte ou Giorgio Morandi. Accrochant ses toiles sur des murs peints, ou parmi des arbres simplifiés et multicolores, il installe, en lieu et place du “cube blanc”, un paysage onirique tenant lieu, peut-être, de décor.
Né à Lausanne, Nicolas Party étudia le cinéma et le graphisme à l’École cantonale d’art de Lausanne (ÉCAL), puis les arts visuels à la Glasgow School of Art. C’est à Glasgow, il y a presque dix ans, qu’il présenta l’une de ses premières expositions personnelles, Dinner for 24 Elephants. Celle-ci s’amorça en effet, le 2 septembre 2011, sous la forme d’un dîner destiné à vingt-quatre convives. “Quand vous êtes un jeune artiste, vous entendez constamment parler de réseautage, de la nécessité de créer des liens pour réussir. Vous entendez aussi parler de dîners d’art, où beaucoup de ces réseaux se constituent. Prendre des décisions autour d’un dîner est un très ancien rituel – de la Bible au G7 – et une importante tradition. Dinner for 24 Elephants mettait en scène un dîner d’artistes : au lieu d’aller dîner après le vernissage, le dîner était le sujet même de l’exposition”, confiait-il à la critique d’art Rita Vitorelli. Party dessina les assiettes, les tables et vingt-quatre tabourets représentant de petits éléphants : il conçut aussi le dîner, sept plats (parmi lesquels une seule et unique huître, une saucisse, un poisson, une poire pochée – autant de motifs que l’on retrouve dans sa peinture). Les invités furent choisis par les deux directeurs de la galerie, qui firent ce soir-là le service, accompagnés de l’artiste lui-même.
Party est souvent qualifié d’“artiste post-Internet”, ce qui est plutôt curieux pour quelqu’un utilisant le pastel (une technique renvoyant plutôt à la fin du XVIIe siècle). Une façon peut-être de souligner la nouveauté de son œuvre. “Nous sommes tellement habitués à voir des images générées par ordinateur que cela influence énormément notre façon de percevoir les images”, relève Party, qui ajoute : “Les inventions techniques ont toujours un impact sur la façon dont l’art se fait. Parfois, l’innovation peut être toute simple, comme le tube de peinture par exemple, qui a permis aux artistes d’aller peindre à l’extérieur. Maintenant, nous avons l’ordinateur, Internet et l’écran haute résolution Retina. Nous avons accès à des milliards d’informations que nous pouvons visionner sur un très bel écran. Mais il semble que notre créativité soit à la traîne par rapport aux ordinateurs que nous fabriquons. Nos yeux n’ont pas encore changé de résolution. Les mains à cinq doigts dont nous nous servons sont les mêmes que celles que les artistes utilisaient il y a 30 000 ans pour peindre des animaux. Les ordinateurs que nous produisons sont extrêmement puissants et ont considérablement évolué ces vingt dernières années. Mais les humains, eux, n’ont pas beaucoup changé. Dans le monde de la technologie, nous pouvons utiliser le mot ‘progrès’ […]. Mais je ne pense pas que vous puissiez utiliser le mot ‘progrès’ dans le monde culturel.”
Lui-même passa une dizaine d’années à pratiquer l’animation 3D, et il y a probablement un peu de cela dans les grandes sculptures en forme de têtes peintes qu’il exposa en 2017 à Modern Art Oxford (Speakers, 2017), inspirées par sept personnages féminins de la ville, et exposées avec une bande-son de piano, violons et violoncelle. Celles, plus petites, qu’il présenta à M Woods, à Pékin (Heads, 2018) forment, de leur côté, un panthéon pas si sexué que cela. “Quand je me pose la question du genre, de ce qui caractérise un homme et une femme, je me la pose en tant qu’homme. L’histoire du portrait, quant à elle, a principalement été écrite par des hommes qui peignent de jeunes femmes. Ainsi, en 2016, il est tout à fait impossible pour moi de simplement peindre de jolies femmes. Cela n’aurait aucun sens. Les rues sont pleines de jolies filles et vous pourriez vous dire : ‘Je peins de belles choses, alors pourquoi pas de belles filles ? Je veux dire, c’est un bon sujet, non ?’ Mais en fait, ce n’est pas le cas, car cela ne pose pas les bonnes questions à propos de ce qui est beau, de ce qu’est une belle personne ou un beau visage”, explique-t-il.