La particularité du centre commercial Polygone Riviera est d’exposer des œuvres d’art à ciel ouvert. Ayant fait appel à l’un des plus grands commissaires d’exposition français, Jérôme Sans – un des deux fondateurs du Palais de Tokyo à Paris, avec Nicolas Bourriaud –, ce centre de shopping accueille chaque été des artistes régionaux, nationaux, voire internationaux. Au programme cette nouvelle saison, les Spaghetti Benches [Bancs Spaghettis] de Pablo Reinoso, des bancs qui ressemblent à ceux que l’on trouve dans l’espace public, mais dont les lattes d’acier auraient évolué, comme si un souffle en avait augmenté l’étendue.
“Ce territoire est un foyer de culture depuis très longtemps. Rodin, Renoir, Picasso, Van Gogh, Cézanne… font partie de l’histoire de cette région.”
Pour Jérôme Sans, le concept de centre commercial présentant des œuvres d’art relève d’un “mariage improbable”. Toutefois il ajoute : “Ce territoire est un foyer de culture depuis très longtemps. Rodin, Renoir, Picasso, Van Gogh, Cézanne… font partie de l’histoire de cette région.” Le commissaire, conscient que “cet espace n’est ni un musée, ni une galerie, ni un centre d’art”, use de l’analogie avec le village pour évoquer la fonction et la forme de Polygone Riviera. Il s’agit alors pour lui de “réinsérer l’art dans le village”, en évoquant l’organisation urbaine des quartiers marchands d’autrefois, où des fontaines réalisées par des sculpteurs ornaient chaque place publique.
Pablo Reinoso, Double Talk, 2017, Acier peint, 122 x 950 x 160 cm. © Florian Kleinefenn
Pablo Reinoso, Rolling Sculpture Monaco, 2018, Acier peint, 125 x 342 x 130 cm. © Florian Kleinefenn
Un investissement total de 3 millions d’euros, ce qui semble peu vu la notoriété de ces artistes.
Il semblait alors presque normal que Pablo Reinoso, dont les œuvres mêlent l’utilitarisme du design urbain et la question de la nature, soit à l’honneur pour la quatrième édition de ce projet artistique. Avec son œuvre Banc d’amarrage (2015), l’artiste franco-argentin a été l’un des premiers à intéger la collection permanente de Polygone Riviera, aux côtés de Daniel Buren, d’Antony Gormley, de César, de Jean-Michel Othoniel ou encore de Céleste Boursier-Mougenot (qui représentait la France à la Biennale de Venise en 2015). Un investissement total de 3 millions d’euros, ce qui semble peu vu la notoriété de ces artistes.
Depuis son installation il y a quatre ans, l’œuvre Banc d’amarrage de Pablo Reinoso s’est vu submerger par la nature environnante, qui a repris ses droits dans l’ancienne friche Polygone Riviera. La nature, qui s’incarne ici dans des plantes grimpantes, escalade les murs, nous entraînant à confondre, en un lieu où l’art et la nature se font mutuellement référence, les circonvolutions du travail de Reinoso avec ce méli-mélo buissonneux. Le travail de Pablo Reinoso est une réflexion sur la nature vue à travers la “domestication” que l’homme lui a toujours fait subir. Ainsi, ses bancs ne sont pas de simples bancs, mais des jeux sur la libération de la forme où la personnification du matériau devient une notion clé pour interpréter l’œuvre.
Le travail de Pablo Reinoso est une réflexion sur la nature vue à travers la “domestication” que l’homme lui a toujours fait subir.
Lorsqu’on parle à l’artiste de l’Art nouveau qui, dès les années 1900, anticipait déjà cette question de la végétalisation des formes, Pablo Reinoso nous répond : “En effet, lorsque j’ai découvert l’Art nouveau, j’ai tout de suite vu la correspondre que l’on pouvait établir avec mon propre travail.” Tandis que les plus grands noms de l’Art nouveau, tels que Victor Horta ou Hector Guimard, s’inspiraient de la nature et des insectes pour construire leurs architectures et leurs pièces de design, Pablo Reinoso puise à la même source, comme le montrele titre de son exposition, Supernature.
“Imaginons que je dise à cette poutre qu’elle va se tordre dans tous les sens. Elle ne me croirait pas. Mon travail consiste à libérer la fonction première de la poutre.”
“Je dis à la matière : ‘Tu vas tout faire, sauf ce pour quoi tu as été créée.” L’artiste joue sur la libération de la forme : “Imaginons que je dise à cette poutre qu’elle va se tordre dans tous les sens. Elle ne me croirait pas. Mon travail consiste à libérer la fonction première de la poutre.” Entièrement travaillés à partir de modèles de poutres de chantier en acier, les bancs de Reinoso évoquent le retour à l’organicité du matériau, un retour à la vie là où on ne l’attend pas.
Présenter des œuvres dans un centre commercial ne relève pas d’une conception classique de l’exposition, mais davantage d’une nouvelle approche.
Au cours de notre visite, une femme s’est assise sur l’une des sculptures qui composaient l’exposition. Jérôme Sans et Pablo Reinoso en ont alors profité pour nous rappeler le message sous-jacent à l’exposition : l’intégration de l’art à la vie. Car présenter des œuvres dans un centre commercial ne relève pas d’une conception classique de l’exposition, mais davantage d’une nouvelle approche. Une vision fondée sur la volonté de faire sortir l’art des lieux où il est généralement présenté (musées et galeries) pour l’intégrer à la vie quotidienne du plus grand nombre. Ainsi, pour peu que l’on soit disponible et ouvert à l’inconnu, la présence des Spaghetti Benches au cœur même du centre Polygone Riviera apporte une touche de singularité et de beauté qui pourrait bien transformer le simple fait d’aller “faire des courses” en une véritable expérience esthétique.
Exposition Supernature, au Polygone Riviera, Nice, jusqu’au 14 Octobre.