L’artiste américain T. J. Wilcox produit des collages cinématographiques sous forme d’installations qui dépeignent souvent, à travers des images d’archives, l’histoire européenne, mais aussi les histoires personnelles, les mythes, le cinéma, la musique et la littérature depuis le xixe siècle (notamment puisées dans la culture française). Étrangement, il n’avait encore jamais été invité à présenter une exposition personnelle à Paris. La VNH Gallery a comblé ce manque et T. J. Willcox propose une sorte de rétrospective de ses œuvres en hommage à la France et à Paris. On y retrouve le conte The Jerry Hall Story (2007) : l’histoire d’une jeune fille qui quitte son Texas natal avec 600 dollars (indemnité reçue à la suite d’un accident de voiture) pour se payer un aller simple pour Paris où elle va rencontrer Salvador Dalí, Simone de Beauvoir ou Grace Jones, ce qui va bouleverser sa vie. Dans cette exposition, on retrouve des références à Marlene Dietrich, à l’église de la Madeleine, à Marie-Antoinette et à “la Présidente”, une célèbre courtisane du xixe siècle, ainsi qu’à la place Vendôme ou à Chopin, dans des installations qui mélangent films, images, sons et vidéos. Il a intitulé son exposition : Carte de visite. “Une carte de visite très longue et annotée, que j’aurais aimé remettre il y a de nombreuses années déjà.”
NUMÉRO : En quoi le milieu dans lequel vous avez été élevé a-t-il influencé votre travail ?
T. J. WILCOX : Je suis né à Seattle, dans l’État de Washington, une ville qui était alors imprégnée par l’esprit de la contre-culture de la côte ouest américaine des années 60 et 70. Je passais ma vie dans les nombreux petits cinémas indépendants. J’ai l’impression d’avoir vécu la moitié de ma jeunesse dans l’obscurité des salles de cinéma, et l’autre à parcourir les rues sur ma Vespa dans le but de suivre la scène musicale post-punk naissante.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’art ?
Ma mère était professeure d’art, elle travaillait pour les parcs publics. L’été, elle circulait à travers la ville dans un ancien camion de boulanger blanc, avec des pois multicolores sur les côtés, comme les emballages de pain de mie. J’adorais le fait qu’elle ait le droit de rouler sur les pelouses de n’importe quel parc pour atteindre l’espace pique-nique où nous nous installions ensemble. Elle recouvrait alors les tables de fournitures d’art et invitait les enfants à venir mettre la pagaille. On s’amusait bien. La création artistique a toujours été prise au sérieux dans ma famille.
“Pour un jeune homme de la côte ouest, mon passage chez Wildenstein ressembla à un cours accéléré d’histoire de l’art.”
Quelles études avez-vous suivies ?
À 20 ans, après une année d’études en France, j’ai déménagé à New York pour intégrer la School of Visual Arts. C’était au milieu des années 80, et l’art à New York était en pleine effervescence. Je vivais dans l’East Village et je suis vite tombé amoureux de cette ville où je vis toujours. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai répondu à une petite annonce de Wildenstein & Co. [célèbres marchands d’art des x viii e et xixe siècles]. Pour un jeune homme de la côte ouest, mon passage chez Wildenstein ressembla à un cours accéléré d’histoire de l’art. Lors de mon premier jour de travail, on m’a chargé de transporter un tableau. Sur le chemin du coffre, j’ai pris conscience que je portais Le Joueur de Luth du Caravage !
Aviez-vous l’impression d’appartenir à une communauté ou à un mouvement ?
Le soir, je partageais un atelier avec ma meilleure amie de la SVA, Elizabeth Peyton. Après avoir travaillé deux ans à la galerie, je me suis inscrit au ArtCenter College of Design à Pasadena, en Californie, au début des années 90. J’étais alors un grand admirateur du travail de Mike Kelley, et je le suis resté. C’est principalement dans l’espoir de travailler avec lui, avec Stephen Prina, Sylvère Lotringer et de nombreux autres artistes et écrivains brillants qui intervenaient dans cette école que j’ai déménagé à Los Angeles.
Vous êtes surtout connu pour vos “films”. Vous considérez-vous comme un cinéaste ?
Je suis en effet connu comme un artiste qui fait des films et des vidéos, mais si le cinéma m’intéresse, c’est avant tout parce que le fait de produire des images en mouvement implique à mon sens une grande variété de formes de création artistique. Ainsi, chacun de mes films porte l’empreinte de mon écriture, de ma manière de fabriquer des objets, de cadrer, de composer ma palette, de faire du collage, du dessin, de la peinture… En fait, pour moi, un “film” est une organisation qui me permet d’assouvir mon intérêt pour une multiplicité de supports et de méthodes artistiques. C’est aussi un médium particulièrement adapté au monde contemporain dominé par les écrans et les images en mouvement.
Votre exposition à la VNH Gallery a un lien avec la France. Quelle en est la raison ?
J’ai étudié la France, son histoire, sa littérature et sa culture populaire pendant des années, et j’en ai fait des films pendant plus de vingt ans. Et pourtant, je n’ai jamais exposé tout seul en France. J’ai donc accepté avec plaisir l’invitation de la VNH Gallery. Le choix de l’endroit où se déroulent mes films – comme la place Vendôme – est très réfléchi. Avec ses différentes strates historiques et ses fantômes, cette place fusionne l’Histoire et le récit, et nous plonge dans une atmosphère dramatique intense. J’ai essayé de faire un film qui a pour sujet cette alchimie. Ces films mettent en scène des faits historiques, comme MarieAntoinette, ou la célèbre courtisane du xixe siècle surnommée “la Présidente”, tout en s’éloignant de la conception consensuelle que les historiens ont utilisée pour distiller ces vies compliquées dans leurs récits.
Exposition Carte de visite à la VNH Gallery, 108, rue Vieille-duTemple, Paris IIIe, www.vnhgallery.com.