Ils sont quatre, deux hommes et deux femmes, à figurer sur la liste très convoitée des nominés au Turner Prize 2019. Depuis trente-cinq ans, ce prix créé par les musées de la Tate a récompensé des artistes tels qu’Anish Kapoor, Rachel Whiteread, Wolfgang Tillmans ou encore Laure Prouvost. L’an passé, il était décerné à l’Écossaise Charlotte Prodger qui, dès le 11 mai prochain, représentera l’Écosse à la Biennale de Venise dans le cadre du programme Scotland + Venice. Cette année, le Turner Prize présente une sélection d’artistes engagés et impliqués dans des problématiques sociétales et politiques : de la guerre à la souffrance au travail en passant par la place des femmes et leurs représentations, chacun à sa manière pose à travers sa pratique un regard sur notre monde contemporain. Tour d’horizon de ces quatre nominés, qui seront exposés au Turner Contemporary, musée d’art contemporain situé à Margate, dans le sud-est de l’Angleterre à partir du 28 septembre prochain, en attendant la révélation du lauréat, le 3 décembre.
Oscar Murillo
Déjà représenté par la méga-galerie David Zwirner, Oscar Murillo a conquis le marché de l'art depuis plusieurs années déjà. Connu notamment pour ses peintures abstraites composées de textes et de matériaux recyclés qu’il laissait vieillir plusieurs semaines en extérieur, cet artiste d’origine colombienne réalise également des photographies, des vidéos et des installations. Certaines de ses œuvres, pourvues de dessins cartographiques et d'images exotiques, sont l'illustration de ses expériences singulières du voyage et de la découverte. D'autres, beaucoup plus sombres, comme ses toiles noires, traduisent l'impact délétère de la mondialisation sur notre identité et nos droits de citoyens. Le décentrage semble d'ailleurs être un enjeu majeur de son travail, qui incite à se détacher de sa propre existence pour s’ouvrir au monde et être mieux à même de poser un regard juste sur notre société contemporaine. Soucieux de rendre l’art accessible au plus grand nombre, il a d’ailleurs participé à de nombreux programmes dans des écoles et invité des élèves à participer à la conception de ses œuvres. Plusieurs de ses récentes expositions, et notamment sa participation à la 10e Biennale de Berlin, lui valent aujourd’hui sa nomination.
Tai Shani
Avec son projet en cours Dark Continent, cette artiste londonienne de 43 ans a particulièrement attiré l’attention du jury : inspiré par un texte féministe du XVe siècle, ce récit nous invite dans une ville imaginaire matérialisée par des sculptures et objets dans lesquels se croisent différents personnages historiques mais aussi contemporains, qui prennent possession du décor. Dans ses œuvres narratives aux confins de la performance et de la pièce de théâtre, elle questionne la féminité, de ses racines et à ses personnifications. Ces réflexions s’incarnent dans des figures allégoriques, qu’elle articule dans ses récits vivants prenant place dans des tableaux de son invention. L’histoire hybride et fantasmagorique racontée par Dark Continent voyage donc à travers mythes pour déconstruire la figure de la Femme, et nous permettre de mieux comprendre les nouveaux enjeux de ses représentations.
Lawrence Abu Hamdan
Chez cet artiste né en Jordanie, le son est le matériau central autour duquel se construit toute sa pratique. Lawrence Abu Hamdan l’enregistre, l’édite, le modifie, en fait un véritable objet plastique qu’il manipule et réorganise à la manière d’un architecte. Dans ses installations, le son vient retracer des histoires, des sentiments, des fractures internes pour dessiner une toile de fond souvent politique. En 2016, l’artiste réalise une enquête sonore dans la prison de Saydnaya en Syrie et recueille des témoignages de survivants, relatant ce qu’ils ont entendu durant leurs années de captivité. En transmettant leur récit, le langage devient vecteur d’émancipation, de libération, de vérité, d’identité : se faire entendre, c’est exister. Des créations sonores de Lawrence Abu Hamdan seront également exposées à la Biennale de Venise dès la semaine prochaine.
Helen Cammock
Lauréate du Max Mara Prize for Women l’an passé, Helen Cammock explore la place des individus marginalisés dans des sociétés actuelles et passées. C’est notamment à son exposition The Long Note à Dublin, consacrée à la place des femmes dans le mouvement des droits civiques en Irlande du Nord, qu’elle doit sa nomination. L’artiste britannique opère une relecture de l’histoire à travers ses archives et son iconographie, qu’elle retranscrit dans une œuvre pluridisciplinaire entre performances, textes et films. Imprégnée par des auteurs tels que James Baldwin ou Maya Angelou, qu’elle n’hésite pas à citer dans ses propres travaux, elle déploie un travail aussi poétique qu’informatif, brisant l’omerta d’un passé parfois tu. Derrière sa pratique : la preuve manifeste que l’histoire n’est pas objective et universelle mais bel et bien subjective et construite, façonnée par des discours dominants.