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Numéro
16 Yoko Ono, Tate Modern, exposition, rétrospective, Londres, John Lennon

Yoko Ono en 3 œuvres subversives exposées à la Tate Modern

Art

Musicienne, performeuse, vidéaste ou encore plasticienne, Yoko Ono (née en 1933) a longtemps été sous-estimée, éclipsée notamment par la fin tragique de son ex-mari John Lennon. Un paradigme que sa rétrospective historique inaugurée hier à la Tate Modern entend renverser, montrant le talent et l'audace d'une artiste avant-gardiste. Focus sur 3 de ses œuvres les plus mémorables.

  • Yoko Ono, “Cut Piece” (1964). Performed by Yoko Ono in ‘New Works by Yoko Ono’, Carnegie Recital Hall, NYC, March 21 1965. Photo © Minoru Niizuma.

  • Yoko Ono, “Freedom” (1970). Courtesy the artist

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1. Cut Piece (1964) : une performance contre le male gaze

 

Kyoto, 20 juillet 1964. Dans l’enceinte du Yamaichi Concert Hall, des spectateurs intrigués se réunissent pour découvrir une performance de Yoko Ono, artiste révélée il y a seulement quelques années à New York. À genoux parterre dans une posture traditionnelle japonaise, la jeune femme stoïque a placé devant elle une paire de ciseaux de couture. Un par un, les spectateurs se succèderont pour couper des parties de sa robe noire. Si les premiers participants sont assez timides, à mesure que la peau de l’artiste se dévoile, les suivants coupent des morceaux de plus en plus gros, désireux de dénuder la jeune trentenaire. Jusqu’au moment où l’un d’entre eux scinde le soutien-gorge de l’artiste, la contraignant à quitter son immobilisme pour le retenir.

 

Représentative du mouvement Fluxus dont Yoko Ono fait partie, l'œuvre d'une vingtaine de minutes au total renverse les dynamiques de création de l'œuvre d'art en rendant le public actif et l'artiste passif, mais aussi en se concentrant sur l'action directe dont ne resteront que des témoignages, et les morceaux de la robe emportés par les participants. Au-delà de ces principes théoriques, la trentenaire met également en avant la manière dont le corps féminin se voit si facilement réduit à l'état d'objet, voire exposé à la violence physique, lorsque les interdits sont levés.

 

“À la fin, il ne restait que la pierre qui était en moi, et ils n’étaient toujours pas satisfaits et voulaient savoir ce qui se trouvait dans cette pierre”, commentera l’artiste après cette performance. En transformant le spectateur en acteur, Yoko Ono le met ainsi face à son agressivité croissante, comme le fera Marina Abramovic dix ans plus tard en 1974, en invitant le public à disposer comme il le souhaite de son corps à l’aide d’objets disposés devant elle. Présentée à New York – où l'Américaine finit entièrement nue –, Londres ou encore Paris, Cut Piece inspirera à Yoko Ono l'idée de confier au public des parties d'elle-même. En 2015, dans l'exposition “Take Me I'm Yours” à la Monnaie de Paris, les premiers visiteurs auront ainsi la chance repartir avec une petite balle en plastique contenant son souffle.

  • Yoko Ono, “Film No. 4 (Bottoms)” (1966). Courtesy the artist.

  • Yoko Ono, “FLY” (1970-71). Courtesy the artist.

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2. Film N°4 (Bottoms) : 365 fesses provoquent l'outrage

 

“Le film le plus significatif avec le moins de sens”. Voilà comment Yoko Ono décrira Film No. 4 (1966-67), plus connu sous le nom de “Bottoms”, sans doute l’une des œuvres les plus célèbres de sa carrière. Pendant quatre-vingts minutes, non moins de 365 paires de fesses en train de marcher se succèdent à l'écran, en gros plan, accompagnées par les voix des personnes – anonymes – filmées. Réalisé dans la foulée d'une première version courte, mettant en scène les derrières d'une quinzaine d'artistes – dont Carolee Schneeman et Jeff Perkins –, cette version bien plus longue et ambitieuse, pensée comme un calendrier de fessiers, met en exergue la vulnérabilité de l’être humain en se concentrant sur cette partie intime encore très taboue.

 

Réalisé en 1966, le film arrive en pleine période de libération sexuelle en Occident, où hommes et femmes de sa génération souhaitent briser les tabous d’une société encore très puritaine. Une révolution qui n'est pas au goût de tous : prévu pour être projeté en 1967 au Royal Albert Hall, le film se voit finalement retiré de la programmation du célèbre théâtre londonien par le British Board of Film Classification, qui juge sa diffusion inadaptée au grand public – bien que les fesses n'y soient pas sexualisées. 

 

En réaction à cette décision, Yoko Ono organise dès le lendemain une manifestation pacifique devant les quartiers du BBFC, où les participants répandent mille jonquilles devant l’établissement. Un message de paix qui ne lèvera pas la censure pour autant, mais fera peu à peu entrer cette œuvre dans l'histoire. En 2017, cinquante ans après, le Royal Albert Hall actera enfin sa repentance en projetant le film ses lieux.

  • Yoko Ono, “Add Colour (Refugee Boat)” (2016) at MAXXI Foundation. Photo © Musacchio, Ianniello & Pasqualini.

3. Add Color (Refugee Boat) (1960-2024) : une œuvre poétique et collaborative

 

Depuis ses débuts artistiques dans les années 60, la collaboration avec le public est au cœur du travail de Yoko Ono, qui implique régulièrement les visiteurs dans ses œuvres pour délivrer des messages de paix, d'espoir et d'humanité. On peut notamment citer ses Wish Tree, arbustes agrémentés de morceaux de papier sur lesquels les visiteurs sont invités à écrire leurs souhaits, que l’artiste installe dans différents lieux du monde depuis 1996. Après chaque installation, l'Américaine recueille les centaines de papiers et part les enterrer sous une tour en Islande.

 

Avant ce projet, l’artiste imaginait dès 1960 l'installation Add Color (Refugee Boat). Ici, le public se trouve invité à peindre et écrire librement en bleu sur les murs d’une salle blanche où se trouve une barque, elle aussi immaculée. Avec l’intervention des visiteurs, le lieu s’enveloppe alors peu à peu d'une couleur azur qui semble emporter le bateau dans ses flots. Apparaissent des dessins, des mots et des prénoms, des messages de paix ou d’espoir inspirés par les visions oniriques de la mer, ou bien par les drames liés aux migrations maritimes et à l'exil… Installation au long cours, l'œuvre a voyagé au fil des années, du Japon à la Grèce, en passant par l'Allemagne et New York en 2019, où l’artiste l’a délibérément placée à Seaport, ancien quartier portuaire –“qui accueillait jadis immigrants, marchands, artisans et ouvriers”, précisait-elle.

 

Ces dernières décennies, avec le nombre croissant de réfugiés et la crise migratoire en Europe, l'œuvre apparaît d'autant plus pertinente, résonnant inévitablement chez les visiteurs avec l'actualité géopolitique internationale. Raison pour laquelle l'artiste, désormais âgée de 90 ans, la recrée cette année à la Tate Modern pour la livrer à ses visiteurs. Le 2 septembre prochain, jour de fermeture de sa rétrospective, on pourra alors découvrir le résultat final de cette nouvelle itération.

 

“YOKO ONO: MUSIC OF THE MIND”, jusqu'au 1er septembre 2024 à la Tate Modern, Londres