Tout l’été durant, le pavillon carré de verre du Louvre-Lens se mue en un intrigant aquarium. Sur l’une des quatre parois de la salle, des formes organiques évoquant aussi bien l’imagerie microbiologique qu’une végétation luxuriante habillent les 30 mètres de la baie vitrée, formant une fresque translucide où se discernent en arrière-plan les arbres du jardin. Au terme d’une résidence de 10 mois dans la ville de Lens avec la Collection Pinault, l’artiste franco-marocain Hicham Berrada recrée ici un vaste laboratoire composé de sculptures imprimées en 3D, de réactions chimiques sous verre et de vidéos immersives. Jusqu’au 1er septembre, son exposition in situ Paysages générés présente les diverses facettes d’une recherche où l’artistique fusionne avec le scientifique. L’occasion d’explorer à travers ses œuvres, pour la plupart inédites, plusieurs aspects de sa pratique.
L’artiste comme régisseur d’énergie
Né au Maroc de parents scientifiques, Hicham Berrada a pu développer dès l’enfance une curiosité prononcée pour les innombrables richesses du naturel et de ses phénomènes, visibles ou invisibles à l’œil nu. En France, ses études à l’école des Beaux-arts de Paris puis au Fresnoy lui permettront de nourrir sa pratique artistique de cette connaissance en y cherchant les potentialités chimiques des matériaux. Une recherche qui l’amena rapidement à cerner deux données essentielles à sa pratique : l’énergie et le temps.
Son projet Kéromancie, présenté au Louvre-Lens, en est la parfaite illustration : dans une eau à l’acidité variable, l’artiste baigne de la cire puis fond la forme qu’elle adopte dans le bronze, l’étain et le laiton. Grâce à cette dégradation accélérée par la chimie, les neuf sculptures abstraites qui en résultent se trouvent, au sein de leur aquarium, en constante évolution. Tels des tests de Rorschach en trois dimensions, leurs formes aléatoires nappées d’une lente fumée appellent alors une interprétation subjective avoisinant la divination. Hicham Berrada s’affirme ainsi comme un modeleur de formes qui sculpte sans toucher la matière.
Une méthode fusionnant l'art et la science
Sur sa fresque translucide et des sculptures en résine, des racines d’arbre ou de lichen deviennent des nuages abstraits : dans le cadre de son projet Augures mathématiques, Hicham Berrada génère ces formes infinies par des algorithmes et équations mathématiques. Avec une machine spéciale permettant de tirer des fichiers numériques en passant par l’argentique, il parvient à imprimer ces motifs sur un papier dit “Lambda”, qu’il applique ensuite sur les vitres à la manière d’un filtre. Une technique ayant demandé plus de deux mois et demi à l’artiste, désireux de retrouver la lenteur et le labeur du travail. La sérendipité de l’installation in situ, constamment transformée par le déplacement de la lumière au fil de la journée, lui inspirera certainement des recherches ultérieures.
Afin de conjuguer la liberté permise par l’art avec la rigueur exigée par la science, Hicham Berrada travaille généralement en deux étapes. En premier lieu, une recherche ouverte lui permet de s’abandonner à l’expérimentation en explorant les nombreux possibles de la matière. Ensuite, l’approche plus froide et précise de la méthode scientifique lui permet de déterminer des protocoles de réalisation et les adapter à l’effet souhaité. Dans l’œuvre finale, la rationalité de la science se plie alors à la subjectivité de la création et de l’interprétation dans une approche indéniablement métaphysique de l’art.
Le rapport au spectateur : immersion avec Présage
Encapsulées, les œuvres de Hicham Berrada forment des écosystèmes autonomes au sein desquels l’humain semble absent. Pourtant, l’artiste est loin de négliger le spectateur dans la construction de ses espaces, puisant explicitement dans la conception du paysage tel que décrite par les peintres de la Renaissance. Véritable fenêtre sur le monde, sa vidéo Céleste (2014) où des fumigènes bleu de cobalt submergent un pré tranquille, se voit installée dans l’exposition comme un tableau. Non loin de la galerie permanente du Louvre-Lens, l’artiste montre ici son intrication avec l’histoire de l’art en installant ce paysage pictural animé à hauteur du regard du spectateur, tel une invitation au voyage.
Mais c’est sans doute avec l’installation Présage que Hicham Berrada illustre le plus radicalement son goût pour la théâtralité. Dans une pièce circulaire noire, sa vidéo projetée à 360° invite dans le paysage mouvant de ses aquariums. Se décrivant lui-même comme “metteur en scène dont les acteurs seraient les matériaux”, l’artiste y fait valser les minéraux au rythme d’une chorégraphie chimique agrandie à échelle humaine. Immergé dans cet espace englobant, le visiteur n’a de choix que de se mesurer à ces réactions obsédantes.
Aux confins du doute et de la vérité
Citant Max Ernst, Hicham Berrada dit à son tour vouloir donner à ses œuvres “le pouvoir d’exciter les facultés visionnaires du spectateur”. Face à la définition nette de ses formes et de ses espaces, l’artiste souhaite paradoxalement installer le spectateur dans un état flottant où, pétri de doute, celui-ci ne sait plus identifier ce qu’il voit. En vue d’éclairer les zones d’ombre de sa démarche, une vidéo le montre au travail dans son atelier, présentant les coulisses de ses œuvres énigmatiques.
Au fil de l’exposition Paysages générés, le visiteur trouve progressivement sa place, se voyant intégré à un spacieux vivarium où la vie des œuvres rencontre son propre mouvement. Car à la différence de la science, la pratique de Hicham Berrada soulève bien plus de questions qu’elle ne donne de réponses, entraînant avec poésie son spectateur vers un monde sans vérité.
L'exposition Paysages générés de Hicham Berrada est à voir au Louvre-Lens jusqu'au 1er septembre.