« Je ne quitte pas Londres pour Paris », prévient David Zwirner, le méga-galeriste qui dispose d’espaces à New York, Londres et Hong Kong. Le 16 octobre le cador de Chelsea et de Mayfair inaugure une antenne parisienne dans un lieu mythique : l’ancienne galerie Yvon Lambert, occupée de 2015 à mi-2019 par la galerie VNH. « Fin octobre, après le Brexit, Londres ne fera plus partie de l’Europe et moi je suis Européen, j’ai besoin de garder des liens avec les institutions européennes », justifie, pragmatique, le New-Yorkais qui n’a pas abandonné sa nationalité allemande. Autant dire que son installation parisienne a conforté les grandes manœuvres de ses confrères londoniens, qui tous cherchent désormais un pied à terre -et plus grand si affinités- à Paris pour contourner les importantes taxes à l’importation en vigueur dans l’Union européenne. Dans la foulée, la galerie White Cube a d’ailleurs annoncé l’ouverture d’un bureau fin octobre à Paris.
Dans le classement des 100 personnes les plus influentes du monde de l’art établi en 2018 par le magazine Art Review, David Zwirner, 55 ans, arrive en deuxième position, juste après son artiste, l’Américain Kerry James Marshall. Normal : la moindre préconisation de cet homme au sourire rare et aux manières directes s’impose comme un ordre. Lorsqu’en 2018 il a pris fait et cause pour les jeunes galeries, exhortant les foires à réviser leurs tarifs pour leur venir en aide, toutes ont obtempéré. La finance a Warren Buffet, l’art a David Zwirner !
Par sa surface —immobilière, financière et naturellement sociale— David Zwirner en impose. Avec ses 10 800 mètres carrés, répartis entre Londres, New York, Hong-Kong et Shanghai, son chiffre d’affaire annuel d’un demi-milliard de dollars (au bas mot) et ses collectionneurs fidèles, il est l’un des rares marchands capables de battre le fer avec le surpuissant Larry Gagosian.
Il semble le loin le temps où le jeune homme avait le jazz dans les tympans. Le David d’hier n’avait pas envie de se couler dans les pas de son père, Rudolf, grand marchand au verbe haut de Cologne qui vendait des artistes de renom comme Sigmar Polke. En 1985, Zwirner fils migre à New York pour apprendre la batterie. De retour en Allemagne quatre ans plus tard, il travaille pour un label musical basé à Hambourg. Mais très vite l’envie de retraverser l’Atlantique le démange. Tout autant que le désir de changer d’univers. En 1993, le voilà qui ouvre son propre espace à SoHo avec les 60 000 dollars donnés par son père. Son écurie, Zwirner la constitue après avoir visité la Documenta de Cassel de 1992 orchestrée par le mythique curateur belge Jan Hoet. C’est là qu’il repère le peintre Luc Tuymans, déjà connu mais pas encore star. Plus tard d’autres poids lourds de l’art le rejoindront à l’instar de Franz West, ainsi que des successions majeures. Zwirner a aussi réussi l’exploit de se partager avec Larry Gagosian la représentation du très bankable Jeff Koons et de Richard Serra.
En janvier 2018, alors qu’il venait d’inaugurer un espace de 950 m2 sur les deux étages d’une nouvelle tour à Hong Kong, il a annoncé la construction en 2020 à Chelsea d’une galerie de 5 étages dessinée par l’architecte Renzo Piano, excusez du peu. Coût de l’opération : 50 millions de dollars. En bon anglo-saxon Zwirner n’a pas de complexe à chiffrer sa pensée et ses ambitions : maximaliser sa présence à Chelsea. S’étendre à l’étranger. Et surtout rester de son temps.
Pour ne pas rater le train numérique, il a lancé des podcasts et boosté son compte Instagram. Et pour toucher les collectionneurs millenials il a engagé une directrice de charme et de choc, Elena Soboleva chargée du business virtuel dont les retombées, elles, sont bien réelles : en juin dernier, sa plateforme Basel online a fait fureur avec des ventes jusqu’à 1,8 million de dollars pour une citrouille de Yayoi Kusama. Mais Zwirner voit aussi loin : il a fait entrer à la galerie ses deux enfants, Lucas, 28 ans, et Marlene, 26 ans. La dynastie Zwirner a de beaux jours devant elle, à New York, Londres, Hong Kong… et désormais Paris.
Ouverture de la galerie David Zwirner avec l'exposition de Raymond Pettibon, Frenchette, le 16 octobre au 108, rue Vieille du Temple, Paris 3e.