Dans toutes les interviews, tous les sujets écrits sur Mathias Kiss, apparaît de façon systématique un questionnement sur son statut. Peintre, sculpteur, artiste en tout cas, l'auteur d'œuvres qui défient sciemment notre désir de tout classer en catégories frappe fort, une nouvelle fois, avec son exposition au Palais des Beaux-Arts de Lille. Au programme : un nouvel environnement, une nouvelle installation immersive, déployée cette fois aux dimensions gigantesques de l'atrium du bâtiment inauguré en 1892. Dans ce contexte, son travail prend, plus que jamais, tout son sens. Ayant passé 15 années de sa vie au sein des Compagnons du Devoir, à restaurer les monuments les plus précieux et prestigieux, Mathias Kiss connaît comme nul autre les codes et les règles des arts décoratifs français traditionnels.
L'œuvre offre une deuxième lecture depuis le balcon du premier étage : en se déplaçant, le spectateur voit se décaler, s'échapper, bouger sans cesse, cette parfaite correspondance du ciel et du bassin de dimensions identiques.
S'appuyant sur son solide bagage de spécialiste de peinture et de vitrerie, l'artiste s'applique depuis 2002 à déconstruire tout ce que l'artisan avait si patiemment appris et appliqué à la lettre. Dans ses expositions, les corniches, la dorure à la feuille d'or, les miroirs, tous les codes classiques français, se libèrent, se déchaînent, dénoncent les carcans qui les ont maintenus si longtemps assujettis au domaine du patrimoine. En prenant la parole en son nom propre, Mathias Kiss nous renvoie, en miroir, à nos propres attentes et aux habitudes de notre regard. Sans jamais se détourner des matériaux nobles et des procédés artisanaux qui ont fait la grandeur du classicisme, l'artiste français les plie à son imaginaire contemporain, avant-gardiste, et infiniment poétique.
“Besoin d’air”, une installation de Mathias Kiss. Photo : David Zagdoun.
“Besoin d’air”, une installation de Mathias Kiss. Photo : David Zagdoun.
Au Palais des Beaux-Arts de Lille, on découvre donc, au plafond, un ciel – une des spécialités de l'ancien artisan peintre. “Ce ciel est inspiré de la peinture du XVIIIe siècle, commente-t-il. Il est dramatique, ténébreux voire spirituel. Ici, il entre en résonnance avec ce qui l'entoure, avec les œuvres conservées dans le musée.” Imprimé sur du plastique transparent, flouté en carrés comme autant de pixels, il prolonge un travail commencé dans des installations telles qu’Underwater, où un ciel en marqueterie de papier jouait déjà avec nos perceptions. Au sol, un bassin miroitant constitué lui aussi d'une myriade de petits carrés, reflète ce ciel et aussi “coule” largement au-delà de son rebord, poursuivant également le motif de “coulures” précédentes appelant à “sortir du cadre” (de nos habitudes, de nos classements, de l'académisme auquel Mathias Kiss a bien dû se plier dans sa vie antérieure).
Immersif, ce paysage imaginaire, comme ceux qui l'ont précédé, nous replace au centre du dispositif – on pense notamment à la Kissroom de l'artiste, cette pièce minuscule entièrement tapissée de miroirs se reflétant à l'infini, qui nous aspire dans un vertige sans fin. L'œuvre offre en effet une deuxième lecture depuis le balcon du premier étage du Palais des Beaux-Arts de Lille. En se déplaçant, le spectateur voit se décaler, s'échapper, bouger sans cesse, cette parfaite correspondance du ciel et du bassin de dimensions identiques. Une fuite permanente joliment soulignée par une musique du groupe Air, grands complices de Mathias Kiss. Perceptions liquéfiées, voyage méditatif des sens… auriez-vous besoin d'air?
Besoin d'air, une installation monumentale de Mathias Kiss dans l'atrium du Palais des Beaux-Arts de Lille. Jusqu'au 6 janvier 2020.