Encensé par la critique et le public à travers le monde, Sam Levinson est un papa comblé. Il a donné naissance à un bébé d’une saison et de huit épisodes : Euphoria (2019). Produite par le rappeur superstar Drake, diffusée sur HBO l’été dernier et forte d’un engouement sans précédent à l’international (réunissant plus de 5,6 millions de téléspectateurs sur la plateforme de streaming alors que l’heure est aux baignades et aux soirées alcoolisées) la série a su réinventer le genre du teen drama, version sexe, drogue et smartphones. Et offrir à HBO son deuxième plus gros succès depuis Game of Thrones (2011-2019)…
Le personnage principal d’Euphoria, l’adolescente torturée Rue (Zendaya) a une grande sœur : elle s’appelle Hofit, elle est brune, frisée et tout aussi borderline. Mais elle vit à des milliers de kilomètres, en Israël. Inventée en 2012 par l’écrivain et showrunner Ron Leshem, cette adolescente en crise est née des névroses de son créateur, elle est aussi l’héroïne de la série Euphoria, made in Israël : elle parle hébreu et a eu beaucoup moins de succès que sa version 2.0. Son personnage a été adapté par HBO, qui s’est contenté d’acheter les droits de la série originale (sans même prendre la peine de changer son nom) et l’a révisité à la sauce américaine – high school, banlieue chic et maquillage outrancier.
Bande-annonce d’“Euphoria” (2019) de Sam Levinson.
Israël, berceau des séries contemporaines
Le show qui a marqué 2019 et a conféré à Zendaya le statut d’icône de sa génération n’est pas le seul à être né au Moyen-Orient : les cartons Homeland (2011-) et In Treatment (2008-2010) sont eux aussi des adaptations. Diffusé sur Canal +, le documentaire d’Olivier Joyard, Israël, terre de séries, met en lumière ces séries de l’ombre, créées dans un pays que l’on connaît surtout à travers ses déboires politiques et pas assez pour ses productions télévisées : Israël.
Réalisés avec peu de moyens – un épisode tourné aux États-Unis coûte l’équivalent de la production de quarante épisodes de la série originale – et peu de temps, les shows israéliens n’en sont pas moins qualitatifs : dans son documentaire, Olivier Joyard les dépeint comme divertissants, intelligents et politiques, faisant parler d’eux à travers leurs adaptations mais en passe de devenir des créations originales acclamées partout dans le monde.
“In Treatment” (2008-2010) de Rodrigo García sur HBO.
Des créations originales qui s’exportent
Forte de son succès en Israël, la série BeTipul, imaginée en 2005 par Hagai Levi (un ancien showrunner de télénovelas), suit les thérapies de cinq patients avec leur psychologue dépressif. Elle a muté sous différentes formes (le documentaire explorant la diversité des mises en scène et du choix des acteurs à l’étranger) et dans plusieurs pays du globe : aux États-Unis, bien sûr, où elle devient In Treatment, mais aussi au Brésil (Sessão de Terapia), en Argentine (En terapia), en Italie, même en République tchèque (Terapie)…
Dans un pays “obsédé par les chaînes d’information en continu”, les séries télévisées se détachent de l’immédiateté sans faire l’impasse sur la politique : dans Fauda, créée en 2015 puis diffusée sur Netflix l’année suivante, on suit une unité des forces spéciales de l’armée de défense Mista’arvim (spécialement formée pour se fondre dans la population arabe), alors que dans Our Boys (du créateur prolifique de BeTipul et également diffusée sur Canal +), on est immergé dans les coulisses d’un fait divers qui a bousculé Israël et la Palestine en 2014. Faisant d’un conflit vieux de plus de soixante-dix ans un sujet de fiction, le show s’est même attiré les foudres du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. La série a été achetée par HBO, sans être adaptée, et fait encore débat aujourd’hui dans son pays d’origine.
La série, plus qu’une simple fiction ?
Des shows qui font débat aux débats devenus des shows : Israël, terre de séries, nous fait penser, plus généralement, qu’au XXe siècle la télévision est un outil politique, et ce partout dans le monde. Alors que Chernobyl (2019), minisérie américaine produite par HBO, semblait un retour nécessaire sur une catastrophe dont les conséquences sont encore aujourd’hui trop peu connues, et que Marvelous Mrs. Maisel (d’Amy Sherman-Palladino, et diffusée actuellement sur Amazon Prime) revient avec un humour délicieux sur les difficultés pour les femmes d’évoluer dans le milieu du stand-up (à l’orée des années 60), les shows télévisés – devenus stars avec l’avènement des plateformes de streaming – dénoncent et expliquent, souvent à travers le rire, les larmes ou la peur, sans jamais manquer d’émotion.
Si la tendance est aux adaptations à l’international des séries en hébreu, un show semble inverser la tendance : en Israël, Nehama met en scène un homme dont la vie bascule quand il décide de faire carrière dans la comédie. Un drame présenté à Cannes Séries l’an dernier et qui fait étrangement penser à la comédie d’Amy Sherman-Palladino, maintes fois primée aux États-Unis. Alors que pleuvent les making of sur les séries américaines, les documentaires s’attardent peu sur les shows télévisés, et Israël, terre de séries bouscule les codes du genre : il met en lumière des auteurs de séries dans un pays surtout connu pour ses conflits.
Israël, terre de séries, documentaire diffusé sur Canal + puis en intégralité sur myCANAL.
Our Boys, série diffusée sur Canal + puis en intégralité sur myCANAL.
Nehama, série diffusée sur Canal + puis en intégralité sur myCANAL.