La jeunesse d’une scène artistique se jauge à l’énergie de ses artistes. Mais tout autant à l’aune de ses galeristes... plus encore quand les galeristes sont des artistes. La galerie Bonny Poon – fondée par l’artiste d’origine canadienne Bonny Poon et par Nathaniel Monjaret – a ouvert ses portes à Paris à la rentrée 2017. Elle incarne, avec une petite poignée d’espaces parisiens, un certain esprit du temps, un renouveau francilien qui n’aurait rien de nouveau dans la plupart des grandes capitales mais qui, dans une ville bourgeoise et conservatrice, tient du tour de force.
La galerie Bonny Poon s’est installée dans les hauteurs d’une tour des années 70, place d’Italie. La vue est imprenable et l’esthétique “béton-Berlin”, dans l’air du temps (certes, sans doute pas encore chez les collectionneurs français, qui ont du mal à quitter le Marais et le VIIIe arrondissement). Ah oui ! il s’agit d’un appartement. On y vient sur rendez-vous, comme dans un autre excellent espace, Sundogs, ouvert par Robbie Fitzpatrick en complément de sa galerie parisienne. Robbie vous y propose le thé et une discussion sur son canapé. L’art n’est plus affaire de white cube et de bureaux aseptisés, il entre à nouveau dans la vie réelle.
Les artistes présentés sont pour la plupart des amis. Chez Bonny Poon, on expose Sam Lipp, qui n’est autre que le directeur de l’espace new-yorkais Queer Thoughts. Sam Lipp a présenté récemment une vidéo de Bonny Poon (l’artiste). Il joue également dans la prochaine vidéo de Bonny. Ces liens sont loin de constituer un entre-soi, mais un réseau international ouvert. “La plupart de nos collectionneurs sont encore des étrangers, constatent les deux galeristes. Et on ne peut pas dire qu’on nous ait accueillis à bras ouverts. Paris n’est pas une ville très amicale. Nous avons dû compter sur le soutien d’autres expatriés bien plus que sur la scène française.” Et ce n’est pas la moindre des réussites du duo que de nous faire échapper au microcosme d’artistes et de commissaires parisiens défendant une “qualité française” scolaire, et un art qui ne sait pas bien de quoi il est contemporain, et que le reste du monde ignore, évidemment. La galerie Bonny Poon, elle, n’a pas oublié le monde dans lequel elle vit. Invités à participer à la FIAC en octobre 2018 – une consécration et une validation par le milieu –, Franco Polish Black Jeans Porn Club (FPBJPC), une installation en forme de commentaire du marché de l’art. “Notre ligne est simple, assume Bonny Poon : nous croyons aux gens, pas aux produits.”
Poussant jusqu’à l’extrême ironie l’approche commerciale d’une foire, le stand prenait des airs de pop-up store avec ses tee-shirts jaunes en vente. Sur l’un d’entre eux, on lisait : “Je suis allé à la FIAC et tout ce que j’ai eu est ce stupide tee-shirt de FPBJPC”. Une voiture trônait au centre des lieux. Elle avait été graffée à New York par l’artiste Jim Joe et transportée à Paris par bateau. Au New York Times, Bonny Poon explique : “Le véhicule peut être compris comme une parabole de la course implacable du monde de l’art.” La dérision s’invite jusque dans les intitulés des expositions. Le group show d’ouverture reprenait ainsi le titre d’un livre de management : La Solitude des leaders.“Le titre était savoureux, sachant que nous ouvrions dans un quartier délaissé par les autres galeries et dans la solitude des étages d’une tour”, s’amuse Nathaniel Monjaret. En mai dernier, le titre choisi était : “Jeune galerie branchée – Un désir de participer, mais quel prix êtes-vous personnellement prêt à payer ?” Un ticket de métro pour la station Olympiades ou une course Uber feront l’affaire, pour commencer.